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Yacoub Gherissi (Tunis) / Jacques François (Caen)



Les verbes de mouvement entre les mouvements du corps et ceux du cœur.
Analyse comparée de corpus textuels entre le 17e et le 20e siècles


Verbs of movement between motions and emotions
This article presents a diachronic study of ten verbs which denote physical as well as emotional movement: agiter, atteindre, bouleverser, ébranler, remuer, renverser, retourner, saisir, secouer, toucher. These verbs obtain their emotional meaning through metaphoric and metonymic extension. The study compares the importance of these extension processes in two corpora from the 17th and the 20th century respectively. It reveales notably with respect to the verbs bouleverser and ébranler 'metaphoric', 'institutional' and 'psychological' uses in the 17th century.


Qui ne s'est jamais senti atteint par une calomnie, agité par une inquiétude, ébranlé par un contre-argument, touché par une attention, bouleversé par une marque d'affection ou secoué par l'annonce brutale d'une disparition ? Nous percevons en général à peine le caractère métaphorique de ces expressions. Si nous n'avions pas le moyen de vérifier que tous ces verbes1 ont exprimé d'abord des mouvements physiques, nous pourrions même nous demander s'ils ont à proprement parler une acception historiquement 'première' et dans notre pratique quotidienne ils couvrent un champ indistinct de mouvements tantôt physiques, tantôt psychologiques. En d'autres termes, les mouvements qu'ils expriment concernent indissociablement le corps et le cœur.

Dans la brève étude qui suit nous essaierons d'abord de repérer les verbes français susceptibles d'exprimer des mouvements soit physiques, soit émotifs (§1). Une fois une liste de dix verbes établie (sans aucune ambition d'exhaustivité, il va sans dire) nous chercherons à nous représenter de quelle manière et dans quel sens s'est effectuée historiquement l'extension du champ sémasiologique de chacun de ces verbes qui a conduit à leur polysémie actuelle (§2).



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Cette étude délivre quatre classes d'emploi partagées par la grande majorité des verbes examinés. Une étude comparative de deux corpus littéraires du 17e et du 20e siècle nous permettra à partir de ces quatre classes de comparer le profil des emplois dominants des dix verbes à trois siècles de distance et de proposer quelques observations générales (§3). Enfin nous évoquerons au §4 un trait crucial de l'évolution des usages affectifs de ces verbes, à savoir le déclin des emplois métaphoriques 'institutionnels' et surtout des emplois affectifs méréologiques entre le 17e et le 20e siècle à partir de l'exemple du verbe ébranler (esbranler au 17e). En effet au 20e s., deux emplois dominent, physique (ex. Un séisme ébranle un bâtiment) et affectif appliqué à un individu (ex. J'ai été ébranlé par la franchise de sa réponse), mais au 17e s. deux autres types d'emploi jouent le rôle de passerelle entre ceux-ci, d'abord l'emploi d'ébranlement institutionnel (ex. Une jacquerie ébranle un trône) et ensuite l'emploi affectif 'méréologique' c'est-à-dire touchant un trait de la personnalité d'un individu (ex. Une déclaration d'amour ébranle l'âme d'une jeune fille). Le §4 sera consacré spécifiquement à la comparaison des emplois au 17e s. de ces deux types pour deux verbes sémantiquement très proches : ébranler et bouleverser.

1 Quels sont les verbes français aptes à exprimer des mouvements aussi bien émotifs que physiques ?

Les six verbes présentés en emploi affectif dans notre phrase d'ouverture entrent clairement dans cette classe ambivalente, voir atteindre (1-2) et agiter (3-4) :2

(1) La flèche a atteint1 le cavalier ⇒ N:x<conc> atteindrex<mvt phys> N:yx<conc>

(2) La calomnie a atteint2 le ministre N:xx<absx> atteindrex<mvt aff> N:yx<hum>

(3) Le vent agite1 les voiles ⇒ N:xx<conc> agiterx<mvt phys> N:yx<conc>

(4) La venue des comédiens agite2 les écoliers ⇒ N:xx<évén> agiterx<mvt aff> N :yx<hum>

Pour élargir cette première liste intuitive, notre méthode consiste en premier lieu à identifier quatre degrés (I-IV) d'affectation d'un lieu-patient 'Y' par un agent 'X', allant du contact minimal jusqu'à une mise en mouvement brutale de 'Y'. Le long de l'échelle I-IV, le lieunon-patient devient progressivement un lieu-patient, un patientlieu et un patientnon-lieu (cf. tableau 1).



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Tableau 1 : Quatre niveaux de contact entre un Agent ou un Stimulus et un ±Lieu-±Patient exprimés par quatre paires de verbes de mouvement

Dans un second temps, nous avons inventorié tous les synonymes de ces huit verbes selon le Dictionnaire Electronique des Synonymes du CRISCO (www.crisco.unicaen.fr), filtré ceux qui figurent plusieurs fois et testé leur aptitude à exprimer aussi bien un mouvement affectif qu'un mouvement physique. Il en résulte la liste des dix verbes suivants {agiter, atteindre, bouleverser, ébranler, remuer, renverser, retourner, saisir3, secouer, toucher}.

En marge de ces verbes dont la polysémie (incluant au moins les mouvements du corps et ceux du cœur) est attestée depuis plusieurs siècles, certains verbes ont pu exprimer des mouvements des deux types en français ancien et classique mais n'expriment plus de nos jours que des mouvements émotifs4, par ex. atterrer, dont le sens 'accabler', daté de 1590 selon le TLF, est précédé en 1160 d'un premier sens physique 'renverser par terre', qui a disparu entre-temps. La figure 1 ci-dessous illustre la substitution progressive entre le sens physique et le sens émotif à partir du 17e siècle. Selon P. Gévaudan (2007), toute substitution de sens se décompose en effet en une innovation (ici celle de l'emploi émotif à la fin du 16e s.) et une disparition (ici celle de l'emploi physique, à une date que seule une étude de corpus approfondie pourrait cerner)5.

Figure 1 : Représentation du changement de sens du v. atterrer en 3 temps (cf. Gévaudan 2007)




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Le verbe émouvoir a connu, quant à lui, une évolution apparentée à celle d'atterrer, à cela près que les deux sens physique et affectif sont attestés approximativement à la même époque.6 Comme verbe de mouvement physique, émouvoir a sans doute cédé le pas à déplacer (attesté à partir de 1404), lequel verbe s'est progressivement substitué à mouvoir.

Inversement certains verbes de mouvement physique ont développé tardivement un sens de mouvement émotif, ex. bouleverser dont le sens « modifier brutalement », attesté au début du 17e s., s'applique d'abord à un espace humain ou une institution (1622) et peu après (1656) à un individu.

2 Comment se représenter les modalités de l'extension de sens des dix verbes de mouvement ?

Nous prendrons comme illustration le verbe ébranler. Les datations des différents emplois de ce verbe selon les articles du TLF et du DHLF suggèrent qu'il a parcouru au long de son histoire trois extensions de sens, les deux premières de nature métaphorique7 et la troisième de nature métonymique, ce que résume la figure 2.

Figure 2 : Les extensions successives du champ sémasiologique du verbe ébranler


Le Grand Robert illustre ces quatre classes d'emploi (on trouvera, dans l'annexe, 19 exemples de ces quatre classes empruntés à nos deux corpus du 17e et du 20e siècle) par les exemples (5-10) :



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1. MOUVEMENT PHYSIQUE

(5) J'aimais la tour, verte de lierre, // Qu'ébranle la cloche du soir (…) Hugo, ODES ET BALLADES, II, iii, 1.

2. MOUVEMENT INTERMEDIAIRE (sur une institution, action)

(6) L'art de fronder, bouleverser les états, est d'ébranler les coutumes établies, en sondant jusque dans leur source, pour marquer leur défaut d'autorité et de justice. Pascal, PENSEES, v, 294.

(7) Rien n'est capable d'ébranler la résolution que j'ai prise. Molière, LE MEDECIN MALGRE LUI, iii, 6.

3. MOUVEMENT EMOTIF CONCERNANT UN TRAIT DE LA PERSONNALITE D'UN INDIVIDU

(8) Ses menaces n'ont pu ébranler ma fidélité (…) A. R. Lesage, LE DIABLE BOITEUX, v.

(9) Sur la scène même, il ne faut pas tout dire à la vue, mais ébranler l'imagination. Rousseau, LETTRE A D'ALEMBERT.

4 Mouvement émotif affectant un individu dans son intégralité

(10) Rien ne l'ébranle, il est imperturbable, obstiné, convaincu, têtu.

Si l'on adopte un point de vue cognitif – en l'absence de toute spéculation sur l'origine de chacun des quatre sens – on peut constater tout au plus que dans le sens (1) aussi bien une chose qu'une personne peut être affectée, dans le sens (2) seulement un type particulier de chose, à savoir une institution, dans le sens (3) un trait d'une personnalité, et dans le sens (4) une personne. De ce fait, les sens (3) et (4) sont apparentés par la mise en cause d'une personne, les sens (2) et (3) par l'affectation d'une composante, soit d'un système institutionnel, soit d'une personnalité, et le sens (2) est relié aux trois autres parce que l'ébranlement physique peut s'appliquer à une chose (comme en 2) ou à une personne (comme en 3 et 4), ce qu'évoque la figure 3.



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Figure 3 : Le jeu des parentés cognitives entre les quatre types d'emploi du verbe ébranler (pour un locuteur moyen du 17e s., voir plus bas)

Pour y voir plus clair sur la réalité des parentés cognitives que peuvent reconnaître deux locuteurs francophones moyens à deux époques de l'histoire du français, nous avons mis en place deux corpus textuels8 plus ou moins comparables du 17e s. (français classique) et du 20e s. (français contemporain). Le premier est constitué de 45 textes de genres divers (romans, essais, mémoires, récits de voyage, etc.), le second de 23 romans, essais, pamphlets, etc. Dans aucun des deux cas il ne s'agit de corpus empruntés à la base de données textuelles FRANTEXT. La proportion des quatre types d'emploi des 10 verbes est enregistrée sur la base d'une moyenne de 100 occurrences (ce qui n'exclut pas des effectifs largement supérieurs). Dans certains cas, de nombreuses occurrences ont dû être écartées parce qu'elles illustraient des structures étrangères à ces emplois ou parce que l'empan du contexte observable était insuffisant pour trancher, de sorte qu'occasionnellement le nombre des occurrences classées est beaucoup plus faible que 100. Inversement, dans d'autres cas nous avons étendu le corpus pour affiner le classement.9

Ce que révèle cette analyse de corpus comparables à trois siècles de distance, c'est que la métaphore 2 se rencontre seulement dans le corpus du 17e s. Entre le 17e et le 20e s., l'extension métaphorique 1 subsiste, mais l'extension métonymique a absorbé l'extension métaphorique 2. De ce fait la figure 3 s'applique bien à l'usage d'un locuteur moyen du 17e siècle, mais celui d'un locuteur moyen du 20e s. est représenté par la figure 4 simplifiée par disparition de l'emploi (3) :



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Figure 4 : Le jeu des parentés cognitives entre les quatre types d'emploi du verbe ébranler (pour un locuteur moyen du 20e s.)

3. Comment comparer le poids respectif des types d'emploi entre deux périodes de l'histoire du français&bsp;?

L'analyse contrastive des deux corpus du 17e s. et du 20e s. est résumée dans les tableaux 2 et 3 (ci-après). La première colonne fournit la liste des verbes examinés, la seconde le nombre d'occurrences (NbOcc) retenues et classées, les colonnes 3 à 6 la proportion d'occurrences des quatre classes d'emploi évoquées dans la figure 2 et dans le classement des exemples (5-10) du Grand Robert, et la colonne 7 le profil du champ sémasiologique de chaque verbe à chacune des deux époques. Par convention, nous avons retenu comme composantes du profil sémasiologique les classes regroupant au moins 1/5 (20%) des occurrences et nous avons trié les verbes par profil.

Tableau 2 : La répartition des classes d'emploi dans le corpus du 17e s.



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De la comparaison de ces profils, il ressort pour le corpus du 17e s. que :

1. le nombre d'occurrences classées est très variable : 35 < x < 149 ;

2. les profils sont en grand nombre (7 pour 10 verbes), avec une classe couvrant trois verbes : 1&2 {remuer, renverser, secouer} et une classe couvrant deux verbes : 1&4 {bouleverser, saisir}, alors que les cinq autres classes ne concernent qu'un seul verbe ;

3. les classes (1), (3) et (4) viennent en tête respectivement pour trois verbes, tandis que la classe (2) ne vient jamais en tête.

Ceci permet de conclure à une FORTE DISPERSION DES PROFILS ET DES CLASSES DOMINANTES pour le 17e siècle.

Passons au 20e siècle. Selon notre corpus, le profil global des 10 verbes a profondément changé :

1. le nombre des occurrences classées a une variation plus limitée : 100 < x < 183 ;

2. le nombre des profils est beaucoup plus réduit : trois seulement, et le profil (1) est nettement dominant ;

3. la classe (2) vient en tête pour 9 verbes sur 10, la classe (4) suit avec un seul verbe et aucun des verbes ne compte en tête ni la classe (2) ni la classe (3) ;

4. la classe (2), représentée par six verbes dans le corpus du 17e s. ne concerne plus que trois verbes, la classe (4) ne touche plus qu'un profil au lieu de trois et la classe (3), concernant trois verbes au 17e s., disparaît de tous les profils.



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Cela permet de conclure que la dispersion des profils s'est considérablement réduite entre le 17e et le 20e s., avec le renforcement de la classe (1), l'affaiblissement des classes (2) et (4) et la quasi-disparition de la classe (3).

Tableau 3 : La répartition des classes d'emploi dans le corpus du 20e s.

Le tableau 4 résume l'évolution des profils sémasiologiques des dix verbes entre les deux époques. Un seul verbe garde un profil identique : {retourner} ; six verbes voient leur profil se réduire {agiter, atteindre, remuer, renverser, saisir, secouer} et trois verbes le voient varier partiellement {bouleverser, ébranler, toucher}.

Tableau 4 : L'espace de variation du profil sémasiologique de chacun des 10 verbes entre les deux époques



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4 La variété des emplois métaphoriques 'institutionnels' 'psychologiques' dans le corpus du 17e siècle

Nous venons de voir (observation 4 ci-dessus) qu'entre les deux corpus le poids des emplois du type (2) (à objet <institution>) a considérablement fondu et celui des emplois du type (3) (sens affectif appliqué à un trait de la personnalité d'un individu) est devenu négligeable. Il est donc utile d'inventorier les SN régis par nos dix verbes au 17e s. qui ont largement disparu au 20e s., car ils spécifient des traits de l'espace conceptuel associé à ces verbes à l'époque classique. Faute de place, nous nous contenterons de répertorier ceux qui sont associés à deux verbes extrêmement proches sémantiquement, bouleverser et ébranler, cf. Tableau 5.

Tableau 5 : Les emplois des types (2) et (3) des verbes bouleverser et ébranler dans le corpus du 17e siècle

On observe d'abord qu'il n'y a pas de délimitation aisée de ces deux sens. Concernant le type (3), certaines parties du corps (le cerveau, les entrailles) sont directement associées à des affects et, au-delà des catégories majeures (les sens, l'esprit, l'âme et le cœur), la limite est floue entre les propriétés comme la raison, la conscience, la foi, la vertu et les attitudes comme la chasteté, le courage, l'assurance, la résolution, la sagesse, la fermeté, la franchise ou l'audace. Il est à noter que ces désignations d'attitudes ne figurent pas comme complément de bouleverser dans notre corpus.



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Pour le type (2), on rencontre des désignations abstraites d'institutions (l'ordre établi / de la nature, le monde, le destin, l'état, l'église, les coutumes) et des désignations métaphoriques (les fondements, la couronne, le trône, les bornes / partages). Des lois on passe aisément aux « règles de la conduite chrétienne » et donc à la morale, ce qui constitue une passerelle en direction du type (3), avec la vertu, la chasteté ou l'assiette de l'âme. Globalement, bouleverser s'associe plutôt à des objets institutionnels et ébranler à des expressions de traits de personnalité et d'attitudes, ce qui tient sans doute au fait qu'il est plus facile de se représenter un renversement complet en matière d'institutions (en particulier à travers leur formulation métaphorique) qu'en matière d'attitude.

5 Conclusion

On peut s'étonner a priori que les emplois du type (4) avec un objet humain touché dans ses affects, qui sont historiquement les plus récents, soient moins représentés au 20e s. qu'au 17es. Certes une partie du corpus du 20e s. est constituée de romans « psychologiques », mais les « épanchements » affectifs n'y sont plus décrits dans toutes leurs manifestations extérieures, tandis que la littérature rassemblée dans le corpus du 17e siècle laisse une place décisive à l'exacerbation des sentiments et des émotions, ce qui met en avant des verbes dont le sens émotif sera moins sollicité ultérieurement.

On voit ainsi à la fois l'intérêt de l'analyse d'un corpus textuel – par exemple à propos de la difficile délimitation entre les emplois (2) et (3) au 17e s. que révèle le tableau 5 – et la difficulté à tirer des conclusions de l'étude contrastive de corpus supposés « comparables », quand, comme ici, deux époques sont en cause qui (en fonction des formes de la vie sociale et des goûts et dégoûts du lectorat qui en découlent) ont développé des « codes » littéraires qui n'ont presque rien en commun et ne sont donc pas réellement « comparables ».




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Annexe : Exemples des 4 types d'emploi identifiés

(1) Mouvement physique

(1.1) les Flots devinrent si agitez, et le Vent devint si furieux, […] (Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus, 1649-1653)

(1.2) il demeura quelque temps immobile, puis il poussa des cris et fit des hurlements qui ébranlèrent les montagnes, et ne finirent qu'avec sa vie: (Baronne d'Aulnoy, Contes, 1696-97)

(1.3) Au milieu de tant de périls, il voit ce grand prince renversé dans un fossé, sous un cheval tout en sang. (Bossuet, Oraisons funèbres, 1689)

(1.4) Les Hollandais ont secoué le joug de la domination d'Espagne ; ils ont formé une puissante république, et ils ont soutenu cent ans la guerre contre leurs rois légitimes (La Rochefoucauld, Maximes, 1664)

(1.5) […] comme un fantôme tapageur qui bouleverse les meubles (Leroux, Le Roi Mystère, 1909)

(2) Mouvement intermédiaire (sur une institution, action)

(2.1) Lorsque le roi Henri VIII, prince en tout le reste accompli, s'égara dans les passions qui ont perdu Salomon et tant d'autres rois, et commença d'ébranler l'autorité de l'Eglise, les sages lui dénoncèrent qu'en remuant ce seul point il mettait tout en péril, (Bossuet, Oraisons funèbres, 1689)

(2.2) une dépêche de Londres vint bouleverser tous les plans (de Vogüé, Le maître de la mer, 1903)

(2.3) L'ordre de la maison se trouva profondément troublé. (Duhamel, Confession de minuit)

(2.4) Le rapport de ces experts ébranla la religion de Luc. (Renard, Le maître de la lumière, 1933)



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(3) Mouvement émotif concernant un trait de la personnalité d'un individue

(3.1) l'espoir de nos provinces, Ménécée, en un mot, digne frère d'Hémon, Et trop indigne aussi d'être fils de Créon, De l'amour du pays montrant son âme atteinte, Au milieu des deux camps s'est avancé sans crainte ; (Racine, La Thébaïde, 1664)

(3.2) Quoi ! toujours les plus grandes merveilles Sans ébranler ton cœur frapperont tes oreilles ? (Racine, Athalie, 1691)

(3.3) Il faut donc remuer promptement tous les ressorts de l'âme de l'enfant pour le tirer de cet assoupissement. (Fénélon, L'éducation des filles, 1687)

(3.4) En terre la foi retournée, Et Vesta qui l'a ramenée, Rème, et son grand frère Quirin, (Scarron, Le Virgile travesti, 1648)

(3.5) Ce langage divin, ces charmantes figures, Qui touchaient autrefois les âmes les plus dures, Et par qui les rochers et les bois attirés Tressaillaient à des traits de l'Olympe admirés, (La Fontaine, Nouvelles en vers, 1665)

(3.6) L'une des petites filles, Matina, aux yeux dorés, touche mon cœur. (Camus, Carnets, t3, 1951-59)

(4) Mouvement émotif affectant un individu dans son intégralité

(4.1) Après un tel aveu je ne vous dirai pas Que votre passion est pour moi sans appas ; Et que d'aucun plaisir je ne me sens touchée Lorsqu'à tant de respect je la vois attachée. (La Fontaine, Nouvelles en vers, 1665)

(4.2) Si timide qu'il fût d'ordinaire, la rumeur de cette foule vers lui l'agitait moins de crainte que d'une sorte de curiosité maladive (Bernanos, Monsieur Ouine, 1946)

(4.3) Il gémit. Il était atteint dans sa dignité d'homme. (Aragon, Les Beaux Quartiers, 1936)

(4.4) Jacquemort, un peu remué, la regardait avec discrétion. (Vian, L'arrache-cœur, 1953)



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Bibliographie

Balibar-Mrabti, Antoinette (dir.) (1995) : Grammaire des sentiments. Langue Française 105,

Buvet, Pierre-André/Girardin, Chantal/Gross, Gaston/Groud, Claudette (2005) : “Les prédicats d'<affect>”, in : LIDIL 32, 123-143.

DHLF = Rey, Alain (1992) : Dictionnaire Historique de la Langue Française, Paris : Editions Le Robert.

François, Jacques & Yacoub Ghérissi (2012) : Pour une linguistique orientée outils – La polysémie du verbe compter et les genres textuels. Cahier du CRISCO n°34. Université de Caen-Basse-Normandie. [www.crisco.unicaen.fr]

Gévaudan, Paul (2007) : Typologie des lexikalischen Wandels. Bedeutungswandel, Wortbildung und Entlehnung am Beispiel der romanischen Sprachen. Tübingen : Stauffenburg.

Mathieu, Yvette (2000) : Les verbes de sentiment : de l'analyse linguistique au traitement automatique. Paris, Presses du CNRS.

TLFi = Trésor de la langue Française informatisé, [http://www.atilf.fr/tlfi], ATILF – CNRS & Université de Lorraine.





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Notes

1 Sur la syntaxe et la sémantique des verbes d'affect on consultera avec profit Balibar-Mrabti (dir.) (1995), Buvet / Girardin / Gross / Groud (2005) et Mathieu (2000).

2 Abréviations : abs = abstrait ; conc = concret ; hum = humain ; mvt = mouvement ; phys = physique ; aff = affectif ; évén = événement.

3 Le verbe saisir, qui ne figure qu'une fois dans cet inventaire, a été substitué au verbe frapper qui figure trois fois, car frapper exprime un mouvement de nature plus cognitive qu'affective (ex. Ce trait de caractère m'a frappéa attiré mon attention).

4 Les descriptions historiques sont empruntées aux articles du TLFi et du DHLF.

5 Les symboles se lisent ainsi : Ls1/2 : lexème (atterrer) dans le sens1/2 ; tα : datation de l'apparition du sens 1 (physique) ; td : datation de la dérivation du sens 2 (émotif) à partir du sens 1 ; tω : datation inconnue de la disparition du sens 1 ; t° : moment d'observation.

6 Cf. TLF : émouvoir : 1. Ca 1100 « mettre en mouvement » (Roland, éd. Bédier, 2813 : Li amirals, ki trestuz les esmut) ; 2. a) ca 1170 « troubler, porter à certains sentiments ». Le Dictionnaire latin de F. Gaffiot indique, outre ses emplois de mouvement physique (ôter d'un lieu, déplacer, remuer), une référence psychologique du verbe-source e(x)movere : mens emota, esprit bouleversé.

7 Par « ébranlement institutionnel » nous entendons une crise politique, sociale, économique ou morale qui a entraîné un changement décisif, par ex. La crise des subprimes a ébranlé Wall Street.

8 Sur la méthodologie des analyses de corpus dans le domaine verbal, voir François / Ghérissi (2012).

9 Cette méthodologie n'est pas exempte de faiblesses pour trois raisons au moins : (a) elle ne permet pas une répartition rigoureuse des œuvres entre genres, les genres dominants ayant changé entre 1600 et 2000 ; (b) certaines extensions métaphoriques n'entrent pas aisément dans le moule préétabli ; et (c) certaines œuvres fournissent une proportion excessive d'occurrences, ce qui induit un biais stylistique (ce biais est rectifiable ultérieurement). Toutefois, elle permet d'effectuer un premier débroussaillage.