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Christophe Gérard (Université de Tübingen)



Création lexicale, sens et textualité: théories et analyses1

 After all, if a word's meaning is determined by its internal mark-up, why should elements outside it matter?
J. Hoeksema (2000: 853)

 

Lexical creation, meaning and textuality: theories and analysis
The historical evolution of languages is fundamentally based on the interpretative activity of speakers, not only at the time of adoption (of new linguistic units), as illustrated by cases of reanalysis (Detges/Waltereit 2002), but also when a linguistic innovation is produced, since it requires to be understood by its author. Furthermore, these interpretations are always by inevitably based on a text and take place in a communication situation. Certainly, since the 70s and especially in Germany, some studies of word formation have also paid attention to the particular discourses and texts in which new forms appear. However, a systematic description of this phenomenon is still lacking and in particular the problem of the interpretative constitution of lexical creations remains to be clarified. For this purpose, our paper defends a textual approach, for which all lexical creation is more than an isolated sign. Not only because each lexical creation is defined in relation to a particular language and within a communication situation, but moreover because it is an integral passage of the text where it appears. Thus it always results from an interpretative act which reaches far beyond the local sign.


L'évolution historique des langues repose foncièrement sur l'activité interprétative des sujets parlants, non seulement au moment de l'adoption (de nouvelles unités linguistiques),2 comme l'illustrent à leur manière les cas de réanalyse (Detges/Waltereit 2002), mais aussi au moment de l'innovation, dans la mesure où celle-ci nécessite, bien entendu, d'être comprise par son auteur. Cette dimension interprétative, son importance, est un fait reconnu tant en linguistique diachronique (Marchello-Nizia 2006) que par certaines études de néologie (Sablayrolles 2000) et par la morphologie dérivationnelle (e.g. Corbin 1991). Pourtant, une description systématique de ce phénomène fait toujours défaut et, en particulier, le problème de la constitution interprétative des créations lexicales reste à clarifier.

Pour y contribuer, on propose de développer ici une approche textuelle, pour laquelle toute création lexicale n'est jamais un signe isolé, non seulement parce qu'elle se définie par rapport à une langue et une situation de communication, mais surtout parce qu'elle constitue un passage de son texte d'accueil, pour un acte interprétatif dont la visée est toujours plus globale que l'échelle locale du signe nouveau.




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1) La première partie de cet article pose le cadre de la discussion en proposant des éléments de synthèse sur les approches sémiologiques et textuelles de la création lexicale. 2) La seconde partie est une réflexion sur les statuts textuels de la création lexicale, qu'il convient tout à la fois de concevoir comme i) une création toujours seconde relativement au sens visé dans l'acte d'énonciation; ii) un événement langagier et iii) un micro-passage du texte. Enfin, 3) la dernière partie envisage de deux manières la constitution interprétative des créations lexicales. D'un point de vue microlinguistique, on en observe tout d'abord la sémiose – i.e. le processus qui constitue ces créations en unités biplanes (signifiant/signifié), au terme de parcours interprétatifs plus ou moins complexes. Puis, d'un point de vue méso/macrolinguistique, on vise à décrire comment l'interprétation des mots dérivés et des mots composés inscrit ces derniers dans le cours continu du sens textuel. À cet effet, nos descriptions exploiteront la complémentarité qui existe entre une sémantique interprétative (Rastier 1987/1996) et la conception pragoise de la progression thématique. À cet égard, notre ambition est i) d'apporter une analyse plus précise et mieux fondée du rapport des créations lexicales à la continuité thématique, et dans le même temps, ii) de présenter ici des descriptions dont le français manquait jusqu'à lors (à notre connaissance).


1 Problématiques du signe et du texte

1.1 Formation des mots et modèles sémiologiques

1.1.1 Vue d'ensemble

Les approches de la création lexicale se laissent ramener à deux grands ensembles conceptuels: celles qui relèvent d'une problématique du texte (infra 1.2), et celles qui relèvent d'une problématique du signe.3

Historiquement, les approches familières du signe sont les héritières de la "révolution morphologique" initiée par Bopp (Rousseau 2000), et plus largement des acquis du comparatisme (Auroux 2000).4 Épistémologiquement, elles situent leur objet d'étude aux deux niveaux d'existence de la langue (Erben 1988)5 et limitent la description de la création lexicale aux relations de la triade signifiant/signifié-référent (Krampen 1997).6

Leur thème fédérateur est la formation des mots (existants, nouveaux ou possibles), l'acte de création étant communément rapporté à un ensemble de procédés, dont l'essentiel se trouve déjà chez Darmesteter,7 ainsi qu'à des règles de construction, dont la détermination est un objectif central des théories morphologiques dérivationnelles (Kastovsky 2006, Kerleroux 2006).




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1.1.2 Typologies des procédés et modèles sémiologiques

Cette problématisation du signe connaît une diversité d'approches qui se distinguent en particulier par leur mode de représentation des procédés de formation des mots.8 La représentation des relations entre procédés peut ainsi prendre soit l'aspect d'une typologie ("plate" ou hiérarchisante)9 soit celui d'un modèle sémiologique, la création lexicale étant dans ce second cas conçue du point de vue de l'activité langagière.

Une typologie fine et bien hiérarchisée, comme celle de Sablayrolles/Pruvost (2003), en tant que connaissance des moyens dont disposent les locuteurs d'une langue particulière pour agir sur des unités de langue ou de discours,10 peut utilement servir divers objectifs de description. Propre à faciliter la tâche de classement du néographe, elle sous-tend aussi tout spécialement les approches discursives de la création lexicale (infra 1.2.2). Mais aussi exhaustive et raisonnée soit-elle, toute typologie ne fera jamais qu'identifier des techniques sans pouvoir rendre compte ni de l'activité créatrice du sujet parlant ni du phénomène concret de la création lexicale – ce que font justement, en partie, divers modèles sémiologiques. Corrélatifs ou séquentiels, ces modèles se distinguent eux aussi, notamment, par leur manière de concevoir les relations entre les procédés de formation des mots.

1. Un modèle corrélatif. – Leur critique des typologies de procédés néologiques en général,11, conduit Gévaudan/Koch (2010) à présenter un modèle tridimensionnel, reposant classiquement sur trois plans distincts, mais conçus en relation de simultanéité: le plan sémantique, le plan formel et le plan stratique (cas d'emprunt, de calque et d'antonomase). En outre, l'intention des auteurs étant de formaliser le changement lexico-sémantique, ce modèle comprend dans sa version diachronique un axe du temps, où s'appliquent entre autres les tropes tels que les réinterprète la sémantique cognitive (Blank 1997, voir aussi Gévaudan 2002, 2003):

On dispose ainsi d'une représentation appropriée aux cas complexes de changement lexical, par exemple:

fr. avion AéROPLANE
< Similarité métaphorique . Suffixation . Emprunt <
lt. avis OISEAU12




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Alors que les études de néologie se bornent d'habitude à convoquer de façon ad hoc un faisceau de procédés, l'intérêt de ce modèle de la filiation lexicale (Gévaudan 2007) n'est pas seulement d'accorder immédiatement une place aux changements se déroulant sur deux voire sur trois plans. Son intérêt est aussi d'inclure dans la description ce qui ne change pas lors d'une évolution lexicale, c'est-à-dire de prendre en compte la continuité qui accompagne souvent le changement proprement dit:

quand une innovation ne concerne qu'une de ces dimensions [sémantique, formelle ou stratique, CG], ce qui arrive souvent, il est nécessaire de faire état de la continuité observée dans les autres dimensions. (Gévaudan/Koch 2010: 121, nous soulignons).

Un tel point de vue, en associant la continuité au changement, permet d'appréhender les évolutions lexicales entre signes dans leur intégralité.13 On décrira par exemple (Gévaudan/Koch 2010: 121),

fr. capitale < Identité . Ellipse . Stratum < fr. ville capitale

fr. tibia < Identité . Zéro . Emprunt < lt. tibia TIBIA

Or, comme "tout changement linguistique présuppose une innovation dans le discours" (105), le modèle qui est ici appliqué à l'évolution lexicale vaut également pour la création lexicale.

Retenons-en deux particularités remarquables. D'une part, ce modèle représente un fonctionnement simultané des procédés aux trois plans sémantique, formel et stratique. Ce qui est empiriquement adéquat et, donc, ce qui intègre d'emblée les cas de création les plus complexes, et a fortiori les cas les plus simples. D'autre part, en thématisant l'opposition continuité vs. changement, il offre à ce niveau une représentation complète de la création lexicale, puisqu'il représente aussi les aspects du lexème que l'acte individuel ne modifie certes pas – mais dont la présence est pourtant tout aussi définitoire d'une création que les aspects modifiés, seuls d'habitude à retenir l'attention.

On décrit, dans ce cadre, des rapports de transformation entre signes. Il s'agit toujours, en effet, de comparer entre elles deux unités distinctes pour décrire les différences morpho-sémantiques intervenues dans le passage de l'une à l'autre. On retrouve ici l'analyse contrastive, classique, également à l'œuvre dans les recherches sur la grammaticalisation (Lehmann 2004), dont la procédure consiste à comparer une unité source historiquement antérieure avec une unité cible postérieure, sans se soucier du texte ni même du contexte, généralement (Heine 200214).

2. Un modèle séquentiel. – Parmi les théories morphologiques (Kerleroux 2006), la morphologie dérivationnelle associative de D. Corbin (voir aussi Temple 1996) propose une autre façon de se représenter les relations entre les différents procédés de formation.




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Rappelons tout d'abord que, d'un point de vue strictement associatif,15, les opérations dérivationnelles de construction de mots se réduisent à quatre types: la suffixation, la conversion, la préfixation et la composition. Ce ne sont donc en principe que certains phénomènes de création lexicale qui sont étudiés, à l'exclusion des constructions basées sur, notamment,

i) les opérations non dérivationnelles (mot-valise, apocope, réduplication, sigles, etc.);

ii) les opérations sémantiques correspondant aux tropes de la rhétorique (synecdoque, métonymie, métaphore).

Cependant, le problème du "sens" des mots construits étant au cœur de la morphologie dérivationnelle (voir note précédente), celle-ci est inévitablement conduite à se doter d'une conception des relations qu'entretiennent entre eux des procédés appartenant à des ordres distincts:

pour rendre compte à la fois du sens associé à la structure morphologique et des sens qui représentent une déviation par rapport à cette structure (par exemple, bassinet signifie "petit bassin", mais désigne aussi, entre autres, une sorte de renoncule), il convient de distinguer les facteurs dérivationnels et les facteurs purement sémantiques.
(Corbin 1992: 199).

Ainsi donc, alors que le contenu de certains mots suffit à s'expliquer par une ou plusieurs opération(s) dérivationnelle(s) (ex. vinasse, protège-parapluie, etc.), la génération des sens dits figurés peut impliquer la coordination plus complexe d'opérations sémantique(s) et dérivationnelle(s):

L'utilisation de bassinet pour désigner une renoncule peut s'expliquer par la succession d'un mécanisme métaphorique et d'un mécanisme synecdoctique sur le sens dérivationnellement prédictible "petit bassin" (la langue permet un transfert de dénomination fondé sur une ressemblance de forme, et l'utilisation du nom d'une partie considérée comme saillante pour dénommer le tout) (Corbin 1992: 201).

On reconnaîtra sans doute, dans cette description de bassinet, ce qui fait la singularité revendiquée du modèle de Gévaudan – rendre compte de "la cooccurrence fréquente de divers processus néologiques" –, mais sans le concept de continuité lexicale. Cependant, là où Gévaudan ne fait l'hypothèse d'aucun agencement a priori entre procédés, Corbin voit entre eux un agencement contraint. Elle suppose en effet qu'il existe non seulement une "succession" entre les opérations sémantiques, mais aussi que celles-ci s'articulent "sur le sens dérivationnellement prédictible", ce contenu étant considéré comme premier.16

Cette conception séquentielle se distingue par deux apports essentiels, absents des modèles sémiologiques de type corrélatif. En effet, d'une part, elle met en évidence une partie des contraintes (sémantiques, phonologiques, sélectionnelles, etc.) s'exerçant sur la sémiose des créations lexicales, aux deux plans du signifiant et du signifié.17 D'autre part, elle rend compte de règles générales d'interprétation impliquées par la structure morphologique des mots.

Il s'agit plus exactement, à partir de mots dits construits, mais en fait déjà lexicalisés (i.e. en usage),18 d'expliquer comment le sens propre et figuré de composés et de dérivés existants se laisse générer au moyen de mécanismes formels et sémantiques réguliers. Le raisonnement, qui est hypothético-déductif, vise non seulement à rendre compte du "calcul de la compositionnalité", mais aussi du "sens prédictible" des mots construits:

Par exemple, on peut décrire le sens prédictible du mot poisson-chat comme le résultat de l'insertion de deux noms référant respectivement à la classe des poissons et à la classe des chats dans une structure où l'interprétation est prédéterminée par la règle de telle sorte que le premier constituant soit l'hyperonyme et le deuxième un caractérisant (Corbin 2004: 1290).




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Cet intérêt pour l'interprétation des créations lexicales, même ainsi ramenée aux principes d'un calcul logique du sens effectué hors contexte (le mot est l'unique contexte), semble conférer à la morphologie associative un statut spécial. En effet, en mettant l'accent sur la constitution du "sens" des signes, elle confine d'une certaine manière à la problématique du texte. Mais, le sens lexical demeurant privé de contexte, dans le cadre étroit de la compositionnalité (Hoeksema 2000), cette morphologie dérivationnelle ne peut se situer ailleurs qu'au sein de la problématique du signe.

En somme, les modèles sémiologiques de la création lexicale éclairent, à leur niveau, de deux manières complémentaires la sémantique des créations lexicales: respectivement, quant à leur génération à partir d'autres signes (ex. la transformation métaphorique d'une signification usuelle), et quant à leur cohésion interne en tant qu'elles possèdent inévitablement une signification unifiée. En rendant ainsi compte des possibilités/restrictions morphologico-sémantiques existantes pour une langue donnée, et des techniques linguistiques dont dispose le sujet parlant en général, la description des règles et procédés de formation a constitué au fil du temps un abondant savoir sur la création lexicale en tant que signe.

Cependant, en raison même de leur prédominance dans l'histoire des sciences du langage, les approches sémiologiques laisseront longtemps pendantes des questions qui s'avèrent pourtant centrales, sitôt qu'on envisage la créativité langagière dans sa pleine dimension communicationnelle.


1.2 Problématique du texte: discours, sens et textualité

1.2.1 Vue d'ensemble

Il faut en effet attendre la seconde moitié du XXe siècle, les années 1970, pour observer un renouvellement significatif de perspective sur la création lexicale, sous l'influence de la sociolinguistique, de la pragmatique et de la linguistique textuelle naissante. En particulier, bien après l'étude pionnière de Spitzer (1910), il revient surtout à la germanistique allemande (Peschel 2002: 67–85) d'avoir le plus approfondi l'idée que toute création lexicale ne fait sens que pour le texte qu'elle constitue et dans la situation de communication où elle est exprimée et interprétée. Plus précisément, deux grandes questions complémentaires occupent cette problématique textuelle:

i) Qu'est-ce que les créations lexicales apportent à la cohésion, à la cohérence ou à la progression du texte?

ii) Comment le texte influence-t-il la production ou la réception des créations lexicales? Et ceci de deux points de vue distincts,

a) En tant qu'un texte se présente toujours comme une suite linguistique unique et qu'il possède ainsi sa manière propre d'exprimer le sens qu'il évoque. En tant donc qu'il existe une textualité singulière.

b) En tant qu'un texte exemplifie ou représente toujours au moins une tradition discursive (essai, poésie moderne, courrier des lecteurs, etc.; e.g. Koch 1997, Wilhelm 2001) et relève ainsi de certaines normes d'énonciation et d'interprétation.

Ces questions ont en commun de substituer au signe isolé de la tradition lexicologique un signe d'emblée localisé, c'est-à-dire interdépendant du contexte qui l'entoure. Toutefois, elles posent différemment les rapports entre le global et le local.




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1.2.2 Du global au local: normes discursives et textualité

La seconde question implique deux manières de concevoir l'incidence de la globalité du texte sur la création lexicale.

1. Normes discursives. – Du point de vue défini en b), tout d'abord, on se trouve en présence du cas le plus concret de ce qu'on peut appeler, en un sens très large, la dimension discursive de l'innovation lexicale. L'étude de cette dimension emprunte différentes voies, l'approche discursive de l'innovation lexicale pouvant en effet viser, du plus abstrait au plus concret: i) la caractérisation de variations entre oralité et scripturalité (Cabré et alii 2003);19; ii) la caractérisation de tendances néologiques au sein d'un type de discours particulier (la presse est devenue le terrain privilégié de ce genre d'étude, e.g. Elsen/Dzikowicz 2005) ou, avec plus d'ambition, en comparant plusieurs types de discours (Elsen 2004):

Enfin, iii) la description de corrélations remarquables entre une tradition discursive (éditorial, lettre de motivation, quatrième de couverture, etc.) et certains procédés de création20:

Das Vorkommen von Bestimmten Wbtypen [(sic), types de formation de mots, CG] ist relativ spezifisch für bestimmte Textsorten und funktionale Stile. In wissenschaftlichen, technischen, juristischen und administrativen Texten ist z.B. eine hohe Frequenz und Rekurrenz von Nominalisierungen und Komposita zu erwarten, wie in sonstigen Arten komptakt verkürzenden Ausdrucks komplexer Inhalte. (Polenz 1980: 178).

L'incidence des normes discursives peut s'observer, par exemple, dans les cas d'emprunt d'une technique de création lexicale ou d'une forme privilégiée par un genre particulier. Dans le passage suivant, l'auteur utilise ainsi comme un clin d'œil au genre le suffixe –oïde, qui est une marque de la science-fiction (androïde, astéroïde, humanoïde, planétoïde, droïde, etc.):

Il y a deux S-F. Celle de droite, fascistoïde, celle de gauche, écolo-gauchistoïde. On va pas demander à la S-F d'être raisonnable. On va pas demander non plus à "Pourquoi j'ai tué Jules Verne", bouquin pas fichu comme sont fichus les bouquins d'habitude, d'être toujours très bien fichu. (Nouvel Observateur, 27/03/1978).21

À un autre niveau, on remarque que des genres favorisent la créativité langagière à certaines places précises du texte. Par exemple, les salutations finales du courrier des lecteurs suscitent régulièrement une créativité qui semble liée aux licences de production textuelle de ce type de rubrique journalistique:

L'Immaculée Conception est un dogme qui oblige à croire que la Vierge a été conçue sans péché; et le péché en question est le péché originel qui souille toutes les âmes et que seul efface le baptême. Marie est née sans péché originel, c'est un cas unique et intéressant si l'on songe que son fils – donc Dieu – a dû, lui, être baptisé. À part ça, la très Sainte Vierge a pu forniquer avec qui lui plaisait, [...]. On n'est pas obligé d'être catholique, de croire à l'infaillibilité du pape ou aux dogmes, mais qu'on sache au moins de quoi on parle. Agnostiquement vôtre. (Evénement du jeudi, 09/01/1986).

J'attends de vous lire. Papivorement vôtre. (Evénement du jeudi, 16/01/1986).

Allah est grand et nous à genoux. Amertumement vôtre. (Evénement du jeudi, 30/01/1986).

Souvent évoquée, mais sans plus,22 cette ultime voie de l'analyse discursive demeure sporadiquement pratiquée (ex. Siebold 2000, Ollinger/Valette 2010) et apparaît aujourd'hui démunie d'une réflexion approfondie, sauf exception.23

Quoi qu'il en soit, si toutes ces études discursives s'appuient sur des textes, elles ne font pas du texte leur objet: elles rendent compte du fait que, l'innovation lexicale étant produite et identifiée au sein de textes socialement et historiquement situés, elle doit certes répondre aux contraintes/licences d'une langue historique (système/norme), mais aussi à des contraintes/licences pragmatico-discursives, qu'instituent par exemple les normes de genre.

2. Textualité. – Du point de vue défini en a), maintenant, les déterminations du texte sur la création lexicale peuvent s'observer dans divers phénomènes de textualité. Notamment, le texte étant un contexte primordial, la compréhension d'une création lexicale peut totalement reposer sur les éléments d'interprétation exprimés par le texte, comme dans les exemples suivants:




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Deux autres types de difficulté attendaient les concurrents: les accents et le genre des noms. Dites-vous un ou une spore? Et brûlant, goulûment, pèlerinage (à quand événement?), crânement, pâlichonne, constituaient autant d'attrape-fautes peu évidents à déjouer. (L'Express, 14/11/1986).

Amour: Aïe... Les couples sont à fleur de peau et déchargent l'agressivité de la journée dans le home sweet home! Les célibataires ne sont pas mieux loties et s'abonnent au kleenex-chocolat. Vivement la fin du mois...! (Biba, 02/1986).

Ces exemples illustrent le problème de la constitution interprétative du sens des créations lexicales, comme signe localisé. On se concentrera sur ce problème plus loin (infra 3.1).

Sur un autre plan, d'autres phénomènes traduisent la détermination globale du texte sur la création lexicale. Il arrive ainsi qu'un texte impose sa propre norme contextuelle, notamment par la répétition systématique d'une même technique de discours, ce qui peut motiver l'acte de création lexicale à poursuivre le style du texte en usant de moyens linguistiques congruents. Ainsi, la multiplication d'un même suffixe, ici -iste, pourra suggérer un motif morphologique de création lexicale:

On se retrouve "fasciste" quand les communistes sont dans l'opposition, aussi vite et aussi facilement qu'on se retrouve dans un camp quand ils sont au pouvoir. C'est leur côté Pinochet. T'es pas pinochétiste, t'es communiste. T'es pas communiste, t'es fasciste. (Nouvel Observateur, 16/01/1978).

De même, dans la rubrique humoristique du Nouvel Observateur,

Jean-Pierre Thorn, ouvrier sans qualification pendant sept ans aux usines Alsthom de Saint-Ouen (1971–1978). Revient à Saint-Ouen en octobre 1979 lorsqu'il apprend que l'usine est occupée. Filme la grève. Six semaines de tournage. Neuf mois de boulot après. Le film ["le Dos au mur"] sort le 25 mars, au cinéma Saint-Séverin, à Paris. Pas prêchi. Pas prêcha. Impassable à la télé de Giscard. (Nouvel Observateur, 23/03/1981).

la morphosyntaxe elliptique, amorcée dès ouvrier (un), et reconduite dans chaque phrase jusqu'à la fin du texte, constitue un mode de lecture où impassable, créé sur le modèle d'une adjectivation de l'énoncé virtuel "qu'on ne peut pas passer", réalise la continuation de ce style occasionnel.


1.2.3 Du local au global: les fonctions textuelles

D'autres rapports "horizontaux"24 lient également la création lexicale à la textualité. À la différence des cas que nous venons d'illustrer, ces rapports impliquent cette fois une orientation du local vers le global: en effet, toute innovation lexicale contribue, de différentes manières, au texte dont elle est partie intégrante.25 C'est sur ce problème de la fonction textuelle que se concentrent la plupart des travaux qui s'appliquent à décrire la dimension textuelle des créations lexicales.

La majorité de ces travaux se consacre essentiellement aux fonctions de cohérence/cohésion26 de ces créations (e.g. Schröder 1978, 1983; Dederding 1983; Lipka 1987; Wildgren 1982), en particulier par rapport aux isotopies sémantiques (Erben 1995).27 Ce qui n'est guère surprenant, dans la mesure où ces innovations participent directement à la structuration du texte, aux deux plans du contenu et de l'expression (phonique et graphique):

[Sie] sind dafür besonders gut geeignet, da sie – etwa im Gegensatz zu Pronomina oder auch Simplizia – ihre semantische Verwandtschaft zu anderen Wörtern im Vortext – in seltenen Fällen auch im nachfolgenden Text – auch an der sprachlichen Oberfläche durch Wiederholung eines ausdrucksseitigen Bestandteils deutlich machen können. (Peschel 2002: 84).

Entre autres phénomènes concernés par les propriétés structurantes de la création lexicale, et susceptibles d'établir des connexions à plus ou moins longue distance, on peut citer la variation lexicale contextuelle:

François Deligny est cet instituteur qui eut l'idée de tolérer cet intolérable [un enfant autiste]. Il lui a offert le refuge de son radeau. Non dans l'espoir de guérir cet inguérissable mais pour le laisser vivre librement sa vie, quelle qu'elle soit, et même si elle nous paraît invivable. Pour le laisser invivre. (Nouvel Observateur, 19/01/1976).




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ou encore ceci, avec formation d'un verbe dénominal:

Gabriel, le personnage pivot de "l'Exposition coloniale", narrateur désolé de sa vie, est un homme caoutchouc ou du moins qui a la maladie du caoutchouc, qui ne cesse de rebondir comme une balle, […] et dont la vie privée est aussi caoutchouteuse que possible, entre son père loufdingue qui rêve des colonies, ses deux épouses entre lesquelles il caoutchouchoutera toute sa vie […] (Nouvel Observateur, 02/09/1988).

On notera ici, pour la suite de la discussion (infra 2.3), que la connexion entre caoutchouchoutera et ses antécédents se fonde des identités aux deux plans du signifiant et du signifié. Dans une perspective similaire, il n'est pas rare qu'un mot composé réalise une anaphore conceptuelle ("résomptive"):

Baudrillard explique: "Michael Jackson est un mutant solitaire, précurseur d'un métissage parfait, parce que universel, la nouvelle race, en quelque sorte. […] À cela il faut ajouter que Michael s'est fait refaire le visage, décrêper les cheveux, éclaircir la peau, bref, qu'il s'est minutieusement construit: c'est ce qui en fait un enfant innocent et pur – l'androgyne artificiel de la fable, qui, mieux que le Christ, peut régner sur le monde et le réconcilier parce qu'il est mieux qu'un enfant-dieu: un enfant-prothèse, un embryon de toutes les formes rêvées de mutation qui nous délivreraient de la race et du sexe". (Événement du jeudi, 16/06/1988).

Inversement, les usages cataphoriques de la composition nominale se montrent moins fréquents:

Voulez-vous faire une cure de textothérapie de douze heures, déjeuner compris, dans les établissements balnéaires de la Bibliothèque nationale, Galerie Colbert? De midi à minuit, sociétaires et pensionnaires de la Comédie-Française […] vous baigneront et masseront l'esprit avec de grands textes oubliés ou méconnus de: Bossuet, Rostand, Piron, Jaurès, Dumas, Maeterlinck. (Nouvel Observateur, 15/12/1988).

Enfin, fait encore insuffisamment étudié pour lui-même bien qu'essentiel (e.g. Schröder 1988; Baggioni et alii 1974), la dimension axiologique de la création lexicale ne s'exprime pas seulement à l'échelle stricte du signe28 mais aussi à l'échelle du texte où, en tant que création évaluante,29, elle connecte des passages entre eux tout en caractérisant des contenus textuels divers (positions d'énonciation, thèmes, acteurs du récit, etc.), comme ici à propos de la revue Maledicta ou des antilopes:

Aux Etats-Unis, une revue intitulée "Maledicta" connaît un succès grandissant en se consacrant à l'étude exclusive de l'emploi contemporain du juron. La jurologie est née. (L'Express, 11/04/1981, chronique du langage).

Ces antilopes qui s'arrachent au sol [dans "La Fête sauvage" de Rossif] dans un envol nijinskien sont à tout jamais gravées sur les parois des grottes de Lascaux. (L'Express, 26/01/1976, critique).

Jurologie est compris comme ironique envers le thème de ce passage, la revue, en raison notamment de la tradition discursive (la chronique du langage doit amuser) et du paradoxe que ce mot évoque (i.e. une valeur indigne comme objet de savoir). Quant à nijinskien, qui porte sur une capacité remarquable des antilopes, il qualifie la grâce de leur saut en référence à un virtuose du genre – le danseur Nijinski.

Toutes les créations lexicales que nous venons de voir, en même temps qu'elles contribuent à étayer la cohérence/cohésion du texte, s'insèrent bien entendu parmi les éléments qui assurent la continuité ou progression thématique du texte (au sens de l'école de Prague).

Sur ce plan également, la réflexion a permis d'avancer. Les analyses de Peschel (2002), sur l'allemand, montrent par exemple que les composés faits de constituants identiques (substantif-substantif) servent souvent la progression du texte en reprenant son thème principal. Généralement, le premier constituant (thématique) relaye alors l'information connue, le second (rhématique) apportant l'information nouvelle:

Neubildungen mit gleicher Konstituente dienen häufig der Wiederaufnahme eines Hauptthemas durch teilweise gleiches und teilweise verändertes sprachliches Material. Muss dieses Thema mehrfach bezeichnet werden, ermöglichen Substantiv-Substantiv-Komposita eine dem Textfluss sehr dienliche Kombination aus Konstanz und Variation, Redundanzschaffung gepaart mit Redundanzvermeidung. Das Zentral Thema kann in gleichbleibenden Zweitkonstituenten benannt werden, häufiger jedoch übernimmt die Erst-konstituente diese Aufgabe. […]. Die Zweitkonstituente hingegen enthält den jeweils neuen Aspekt (Peschel 2002: 270).

Ces études pourtant, faute de s'appuyer sur une sémantique des textes, sous-exploitent la structure thème/rhème et, du reste, ne rendent pas compte du fait que la dynamique linéaire du texte se constitue de bien d'autres types de phénomène, comme nous le verrons (infra 3.4).




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Résumons. D'un point de vue textuel, toute création lexicale doit donc s'envisager à la fois comme: i) l'objet d'une détermination globale des normes discursives, de la langue et du texte (comme contexte); ii) l'origine ou le motif d'incidences plus ou moins remarquables, dans son entour linguistique (proche ou lointain). Plus exactement, toute création lexicale doit tout autant être définie par ce qu'elle subit, c'est-à-dire par les déterminations qu'elle reçoit, que par ce qu'elle fait elle-même autour d'elle, c'est-à-dire par les effets qu'elle produit. Enfin, on retiendra pour une prochaine discussion (infra 3.1) que la constitution/interprétation d'une création lexicale, de son sens et de ses fonctions, implique pour le sujet parlant de multiples parcours, alternants entre l'échelle locale de ce signe-mot et l'échelle globale du texte et de la situation de communication.


2 Statuts textuels de la création lexicale

Au-delà des lignes de partage méthodologiques, que trace utilement l'opposition entre une problématique du signe et une problématique du texte, il est fondamental de savoir que l'inscription textuelle d'une création lexicale n'entraîne jamais la dissolution de sa nature sémiologique. D'une part, en effet, une création lexicale ne saurait faire saillance30 dans un texte sans contraster en même temps sur le fond d'un état de langue donné, et même sans cesser de fonctionner par rapport aux réalités extralinguistiques.31 D'autre part, tandis que comprendre un texte c'est toujours passer par les mots sans s'y arrêter (infra 2.2), toute création lexicale, sitôt qu'elle est perçue par le sujet parlant, donne lieu à l'émergence locale d'une figure – et correspond donc à une certaine attention au signe. Précisons davantage les rapports qu'entretiennent le signe et le texte.


2.1 La création lexicale comme création seconde

En production, le fait que la génération d'un texte dépend toujours d'une visée, nourrie par un motif ou une raison d'agir, se traduit dans l'intention significative du sujet parlant:

Exprimer, pour le sujet parlant, c'est prendre conscience; il n'exprime pas seulement pour les autres, il exprime pour savoir lui-même ce qu'il vise. [...]. Il s'agit pour ce voeu muet qu'est l'intention significative de réaliser un certain arrangement des instruments déjà signifiants ou des significations déjà parlantes (instruments morphologiques, syntaxiques, lexicaux, genres littéraires, types de récits, modes de présentation de l'événement, etc.) qui suscite chez l'auditeur le pressentiment d'une signification autre et neuve et inversement accomplisse chez celui qui parle ou qui écrit l'ancrage d'une signification inédite dans les significations déjà disponibles. (Merleau-Ponty 1950: 113).

S'orientant à partir du déjà dit de la langue et des traditions discursives ("genres littéraires, types de récits"), l'acte d'expression doit ainsi être conçu comme toujours à chaque fois nouveau. En effet, chaque énonciation ne reproduit jamais un agencement prédéfini d'unités parce qu'elle cherche toujours à produire une "signification inédite", c'est-à-dire dans notre vocabulaire un sens singulier et unique.32 Un tel point de vue relativise le phénomène de la création lexicale et nous le fait apparaître comme inévitablement second, c'est-à-dire dépendant de la création expressive du sujet parlant, hors de laquelle la création lexicale n'a aucune réalité communicationnelle. Un exemple entre mille. Avant de se lexicaliser, le mot robota (fr. robot) a d'abord fonctionné dans la pièce R.U.R. de K. Capek (1920) comme la dénomination privilégiée d'un des personnages du récit, les "ouvriers artificiels". Mais même ultérieurement, en phase de lexicalisation, l'emploi de cette création a nécessairement dû rester surdéterminée par l'intention significative des sujets parlants.

Diamétralement opposée aux affirmations sur la séparation des procès de la création lexicale et de la production de l'énoncé (Martinet 1967), cette conception fonde tout ce qu'on peut dire à propos des fonctions textuelles de la création lexicale (supra 1.2.3), vis-à-vis de la cohésion/cohérence/progression thématique, narrative ou énonciative du texte.


2.2 Perception sémantique et perception sémiologique

On vient de soutenir que chaque innovation lexicale ou néologisme se présente comme une création seconde inséparable de la création expressive du sujet parlant. La simplicité de cette idée appelle quelques précisions.

Partons du fait que, dans l'acte de compréhension, les signes deviennent des grandeurs transitoires dès lors qu'il s'agit de saisir le sens de ce qui est dit, et non celui de chaque mot en particulier:




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[...] si c'est le rapport latéral du signe au signe qui rend chacun d'eux signifiant, le sens n'apparaît donc qu'à l'intersection et comme dans l'intervalle des mots. [...]. Le sens est le mouvement total de la parole et c'est pourquoi notre pensée traîne dans le langage. C'est pourquoi aussi elle le traverse comme le geste dépasse ses points de passage. Au moment même où le langage emplit notre esprit jusqu'aux bords, sans laisser la plus petite place à une pensée qui ne soit prise dans sa vibration, et dans la mesure justement où nous nous abandonnons à lui, il passe au-delà des "signes" vers leur sens. (Merleau-Ponty 1960: 53–54).33

La dernière phrase de Merleau-Ponty formule l'idée d'un primat du sens sur les signes, non pas dans l'absolu, mais pour la compréhension du texte en tant qu'unité signifiante, dont la saisie correspond à l'exercice continu et duratif d'une perception avant tout sémantique – dont le concept d'isotopie rend en partie compte en linguistique.34 Cependant, "primat" ne signifie pas exclusivité et il faut ici souligner que, sans cesser d'être sémantique, la perception du texte connaît des sortes de moments sémiologiques plus ou moins passagers et plus ou moins signifiants pour la compréhension.

La création lexicale illustre parfaitement ce changement du rapport linguistique au texte, car elle fait partie de ces phénomènes langagiers dont les qualités de saillance impliquent le passage à une perception sémiologique du texte:

Qu'il s'agisse d'un mot nouveau, ou d'un sens nouveau, ou d'un transfert de catégorie grammaticale, il suspend l'automatisme perceptif, contraint le lecteur à prendre conscience de la forme du message qu'il déchiffre (Riffaterre 1973: 59).

Il y a donc perception sémiologique sitôt que la création fait événement pour le sujet parlant, à certaines conditions (en partie posées par le caractère particulier du texte35) et de multiples manières, bien étudiées par la stylistique du néologisme (Spitzer 1910, Riffaterre 1973, Handler 2009).

Ainsi, percevoir un composé nouveau ou une innovation sémantique, par exemple, c'est les constituer/interpréter dans un moment sémiologique où, cependant, le sujet parlant ne rompt pas avec la permanence d'une perception sémantique plus globale. De fait, sans paradoxe, quand une création lexicale fait l'objet d'une saisie qui la constitue en un événement ponctuel du texte, elle ne cesse pourtant pas d'être conçue comme seconde par rapport à l'action énonciative et interprétative.


2.3 Notion de passage et conception intégrale de la création lexicale

Cette dualité propre à la création lexicale (i.e. faire événement mais demeurer seconde), et verbale en général, peut être linguistiquement fondée au moyen d'une théorie du passage (Rastier 2007).36 Mieux, la notion de passage, son pouvoir explicatif multiple (infra 2.3.1, 2.3.2, 2.3.3), conduit à imaginer une conception intégrale de la création lexicale: pour décrire pleinement cette dernière, il faut coordonner les acquis des modèles sémiologiques à ceux du point de vue textuel.


2.3.1 Perspective macrolinguistique: cohésion/cohérence

En première approche, le passage se présente comme une partie de texte (lexie, phrase, période, paragraphe) définie en partie par sa connectivité proche et lointaine. Cette dernière se concrétise, aux deux plans du contenu et de l'expression, par les connexions qui relient le passage à des corrélats et des cooccurrents (Rastier 2007: 30):

Au plan du signifiant, le passage est un extrait, entre deux blancs s'il s'agit d'une chaîne de caractères; entre deux pauses ou ponctuations, s'il s'agit par exemple d'une période. Au plan du signifié, le passage est un fragment qui pointe vers ses contextes gauche et droit, proches et lointains. Cela vaut pour le sémème comme pour le contenu du syntagme ou de la période. On peut ainsi substituer à la monade sémiotique apocryphe du Cours de linguistique générale cette figure du passage:

Le passage, comme le figurent les signes convexes symbolisant son ouverture et les flèches droite et gauche, renvoie aux étendues contiguës ou plus lointaines. L'extrait peut renvoyer aux étendues connexes, par exemple par des règles d'isophonie ou de concordance de morphèmes: ce sont des cooccurrents expressifs. Le fragment se relie à d'autres par des phénomènes d'isotopie: ils ont le statut de corrélats sémantiques. Pour ce qui concerne leur connectivité externe, on distinguera l'incidence de l'extrait et la portée du fragment.

Pour notre propos, on peut noter ici que les flèches de cette première figure, tournées vers l'extérieur, formalisent le fait que la création lexicale contribue éminemment à la cohésion/cohérence textuelle (supra 1.2.3), et il faut se figurer des flèches identiques pour les autres passages du texte qui, de l'extérieur, pointent vers la création lexicale. Mieux, ainsi faite d'isophonies et d'isotopies, cette connectivité externe se révèle en partie définitoire de la création lexicale, dans la mesure où




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Sa singularité même n'est pas due à son isolement, mais au contraire à la rigueur des séquences sémantiques et morphologiques dont il est le point d'aboutissement ou d'interférence. (Riffaterre 1973: 60).37

Comme dans l'exemple suivant, où le phénomène apparaîtra sans doute plus exagéré que de nature:

"Sua Emittenza" est un sobriquet fabriqué à partir d'Eminenza (Eminence) et de emittenza, néologisme en allusion aux autorisations d'émettre (emettere) accordées par le pouvoir à Berlusconi. "Sua Emittenza" le désigne comme roi de la magouille télévisuelle. Son Emettence! (Nouvel Observateur, 20/01/1994).

Ici, l'explication de l'italien Sua Emittenza se conclut par un calque contextuel, Son Emettence, un hapax qui se rattache à d'autres signes du texte au plan du signifiant comme à celui du signifié (Eminenza, Eminence, émettre, emettere mais aussi pouvoir, roi et télévisuel).


2.3.2 Perspective mésolinguistique: sémiosis textuelle

À cette connectivité externe correspond une connectivité interne qui, elle, est responsable de la relative autonomie du passage (Rastier 2007: 32):

La relative clôture organisationnelle du passage se traduit par le fait que les relations au sein du passage sont plus denses et sémiotiquement plus fortes que les relations entre passages. Le rapport entre global et local va du texte au passage: le passage est une zone de localité, définie par une sémiosis propre (mode d'appariement entre contenu et expression) et, sur chacun de ses plans (fragment et extrait), par des relations contextuelles internes fortes.

En tant que zone de localité (ouverte sur ses alentours), le passage doit ainsi sa cohésion propre à tout un jeu de déterminations sémiosiques entre signes (Rastier 2007: 36):

Cette figure simplifiée représente le passage comme une zone de localité étendue au-delà du mot.38 Sous cet angle mésolinguistique (ex. période, paragraphe), où

Localement, le sens consiste pour l'essentiel en un réseau des relations entre signifiés au sein du passage; dans cette perspective, les signifiants peuvent être considérés comme des interprétants qui permettent de construire certaines de ces relations. Elles demeurent de type perceptif: estimation de similarité, reconnaissance de forme, catégorisation. (Rastier 2007: 37).

la notion de passage vient ici clarifier les conditions textuelles de la sémiosis des créations lexicales (par ex. en S1), unités locales dont la compréhension (i.e. perception et interprétation) requière en effet l'existence d'une telle zone – et on se souviendra ici que Gardin et alii (1974) proposaient jadis le concept aujourd'hui oublié de "zone néologène".


2.3.3 Perspective microlinguistique: signe, continuité et discontinuité

Alors que la variante étendue du passage inclut la création lexicale comme un de ses signes constituants, la variante élémentaire du passage correspond elle à un signe unique.39 Sous cet angle microlinguistique, la notion de passage conduit à dépasser l'opposition méthodologique entre les points de vue sémiologique et textuel. Mais elle permet surtout de mettre en évidence les oppositions complémentaires qui définissent toute création lexicale (et verbale en général), en tant que fait langagier inévitablement singulier (sur cette notion, Gérard/Wulf 2010).

Posons les arguments suivant: i) on peut redéfinir le signe comme un passage et ce passage peut prendre le format d'une lexie (simple ou complexe); ii) tout passage unifie les deux plans de l'expression et du contenu; iii) la notion même de passage fait coïncider la continuité du texte (isophonique, isotopique et morphologique) et la discontinuité du signe (qui est discret);40 iv) cette dernière qualité est nécessairement accentuée pour toute création lexicale (dite saillante, inédite, singulière, etc.). D'où une définition multidimensionnelle de la création lexicale:

Y convergent les étapes de la discussion conduite jusqu'ici. D'un côté, la création lexicale se présente comme une figure saillante qui réalise de fait une discontinuité (symbolisée par des parenthèses dans le schéma) – à laquelle répond précisément une perception sémiologique (supra 2.2) – aux plans de l'expression (mot-valise, dérivation, etc.) et/ou du contenu (conversion, métaphorisation, etc.). Cette discontinuité ne se perçoit pas seulement par rapport à la langue (i.e. par rapport à l'unité ou aux unités usuelle(s) reprise(s) et modifiée(s) par cette création) car elle dépend aussi du caractère spécifique de chaque texte (nos exemples de variation contextuelle, supra 1.2.3).41 Les calques contextuels en offrent une illustration frappante:




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Egonomics: l'égonomie, qui vise les personnes et non pas la masse (Libération, 02/05/1996).

D'un autre côté, on l'a suffisamment montré (supra 1.2.2; 2.1, et ici même), la continuité (symbolisée par des tirets dans le schéma) est une dimension définitoire de toute création lexicale, dans la mesure où celle-ci s'inscrit dans un environnement textuel qu'elle influence et dont elle reçoit les déterminations proches et lointaines (supra 1.2, le principe de l'interaction entre les échelles locale et globale du texte). La théorisation du passage apparaît ainsi parfaitement apte à rendre compte de la nature tout à la fois sémiologique et textuelle des néologismes et autres innovations lexicales. Ce qu'on va maintenant mettre en évidence en posant la question de leur interprétation.


3 Sémantique interprétative des créations lexicales

A partir des éléments précédents, quelle analyse donner de la constitution interprétative des créations lexicales, en tant qu'elles manifestent une discontinuité dans le texte qu'elles constituent (3.1) et qu'elles servent la continuité de ce même texte (3.2)?


3.1 Pour une herméneutique du micro-passage innovant

3.1.1 Proposition théorique

Entre autres choses,42 la compréhension d'une création lexicale consiste à saisir son sens linguistique - entendu comme une unité contextualisée essentiellement faite de signifiés lexicaux, catégoriels et instrumentaux (Coseriu 2001: 181–182). Pour analyser comment l'interprétation constitue une telle unité, dans toutes ses dimensions, il faut mobiliser à la fois le point de vue textuel et le point de vue sémiologique, l'un et l'autre se complétant pour cette description.

Certes, comme ils ne traitent que de la signification des créations lexicales, les modèles sémiologiques n'ont pas vocation à rendre compte du sens contextuel. Pourtant, étant en mesure de décrire des processus de transformation entre signes in praesentia (dans le texte43) ainsi que d'expliciter les règles et les contraintes s'exerçant sur la sémiose propre d'une création lexicale (supra 1.1.2), ils apportent des éclaircissements que ne procure pas la linguistique du texte.

Pour répondre à cette complémentarité théorique, on peut concevoir le cadre d'une fédération des différentes approches de l'élaboration sémiosique des créations lexicales:

NiveauxThéories (ex.)Opérations
GénéralGévaudan (2007)Procédés de formation
HistoriqueCorbin (2004)Règles de construction
IndividuelRastier (1987/1996)Parcours réguliers

De cette manière, les règles, normes, processus et régularités de l'interprétation d'une création lexicale se laissent représenter à leurs niveaux respectifs, du niveau le plus général44 au niveau le plus individuel du texte,45, en passant par le niveau historique des langues particulières et des traditions discursives.46 Et on comprend sans doute mieux ainsi pourquoi la question du sens lexical suscite une réponse théorique plurielle, à différents niveaux.

Un tel modèle traite donc à égalité ces trois niveaux, sans privilégier les parcours interprétatifs textuels au détriment des schémas ou processus généraux voire universels (stricto sensu), et tout en tenant compte des évolutions historiques langagières. Dans cette mesure, et en tant qu'il vise à expliquer le processus de la constitution interprétative des créations lexicales, ce modèle peut légitimement revendiquer sa parenté, voire son appartenance, à une herméneutique critique (Thouard 2002).47Étant donné la complexité en jeu ici, on se contentera d'illustrer l'interprétation des innovations aux niveaux de la langue et du texte.




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3.1.2 Règles de construction et parcours réguliers

Considérons le grand nombre de créations lexicales dont un sens congruent, et vraisemblablement univoque, se laisse inférer de la seule morphologie, qu'il s'agisse de mots composés (artistico-champêtre, bibliographo-gastronomique, bourgeoiso-bysantin, cité-kleenex, etc) ou de mots dérivés (marathonesque, déprotéiné, mariageomanie, champagnophiles, etc.). Si tous ces mots peuvent être isolément compris tels qu'ils le sont, et si plusieurs sujets parlants peuvent, dans chaque cas, s'accorder sur un sens lexical déterminé, c'est que l'interprétation dépend de principes réguliers, propres à la communauté linguistique en question.

De fait, dès lors qu'il s'agit de compositionnalité du sens – c'est-à-dire dès lors qu'il s'agit de composer un tout de signification dans les limites étroites du signe,48, l'interprète réalise spontanément des opérations qui, progressivement, ont été systématisées par la langue concernée. C'est à ce savoir idiomatique des locuteurs que donne accès la morphologie dérivationnelle, lorsqu'elle déduit par exemple qu'"A la formation d'un verbe à partir d'un adjectif ([[X]A suffixe]V) est associé un sens de changement d'état (purA > purifi(er)V)", ou encore que "L'interprétation canonique des noms composés de type ([N + N]N) correspond à une relation hyponymique" (Corbin 2004: 1293 et 1296), etc. Toujours couplé à un savoir élocutionnel plus général (Koch 2005: 246–249),49, ce savoir-faire idiomatique est en permanence à disposition de l'interprète.

Cependant, les particularités de la langue elles-mêmes s'opposent à une compréhension lexicale qui serait exclusivement fondée sur des règles de construction morphologiques. Parmi ces particularités, on mentionne souvent la polyfonctionnalité des affixes (Zwanenburg 2000), c'est-à-dire d'une part le fait de pouvoir exprimer un même concept au moyen de différents affixes (par ex. "action" au moyen de -age, -ance ou -sion) et, d'autre part, le fait de pouvoir associer différentes significations à un "même" affixe:

Ce second aspect de la polyfonctionnalité, facteur d'ambiguïté ou d'ambivalence,50, est un des phénomènes qui appelle un examen des conditions contextuelles de l'interprétation des créations lexicales.

Dans les textes, ces conditions ont tout spécialement une incidence sur le signifié catégoriel ("substantif", "adjectif", "verbe", etc.) et/ou sur le signifié lexical des lexèmes, et concernent tous les niveaux de l'analyse linguistique. Elles peuvent par exemple être syntaxiques, comme dans les conversions suivantes où c'est la structure d'accueil du mot qui induit un changement de signifié catégoriel:

Aujourd'hui, on danse cosmique, en s'interrogeant sur le sens de la vie. (Action, 01/1990).

Son secret [d'un blush]? Un travail de fourmi pour sélectionner les pigments et une poudre de nylon, enrobée pour le glissant et la douceur. (Biba, 03/1993).

Les plus gens: Vincent Lindon et Carlos Dolto au Don Camillo [...] (Globe, 05/1991).

Dans ce dernier passage, alors que gens devient "adjectif", il reçoit en outre le trait sémantique /célébrité/, par rétroaction à partir des noms propres qui le suivent: dans cette conversion, le signifié lexical de gens est donc lui aussi la cible d'un parcours interprétatif.51 Un tel parcours indique que, au niveau individuel du texte, l'activité interprétative est d'un grain bien plus fin que ce que laissent imaginer les procédés sémantiques de grande généralité (métaphore, métonymie, etc.). On pourrait en multiplier les exemples.

Au-delà, le rapport particulier entre la syntaxe et la conversion suggère qu'à certains types de créations lexicales correspondent certaines configurations d'interprétation. Ainsi, la compréhension des troncations paraît devoir s'appuyer sur l'identification d'interprétants52 lexicaux isomorphes,

Dans le numéro 203 de l'Edj, l'article intitulé "Dans les ténèbres des catacombes, j'ai rencontré les barbares" ne manque pas d'intérêt. [...]. Toutefois, notre fédération ne peut laisser écrire que les cataphiles sont des nazis et des lepénistes. (Evénement du jeudi, 20/10/1988).

[...] l'électorat de Bernard Tapie est beaucoup moins "mitterrandiste" que celui de Michel Rocard! 73 % des rocardiens font confiance au président de la République, contre 54 % des "tapistes". (Nouvel Observateur, 05/05/1994)




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Rapportés à catacombe et Tapie, les sens de cataphiles et tapistes sont ainsi élucidés. Toutefois, la clarté de ces deux exemples doit être contrastée avec d'autres contextes typiques. Les énumérations, notamment, facilitent la compréhension des innovations (et plus largement des lexies inconnues du locuteur) parce que celles-ci peuvent être assimilées à un paradigme contextuel:

La traditionnelle caisse enregistreuse est bonne pour le magasin des antiquités; place à la lecture optique, Crayon lecteur, douchette ou scanner, les caisses des hypers et des supermarchés se mettent à l'heure de l'informatique. (ex. cité dans Béciri 2003: 71).

Aujourd'hui, dans les studios de Montreuil [les studios de Walt Disney], une centaine de dessinateurs travaillent d'arrache-pied. Décor très clean. Ambiance hyper-studieuse. Intervallistes, animateurs, coloristes, décorateurs sont rivés à leurs tables lumineuses. (Nouvel Observateur, 21/12/1989).

Mais si douchette peut être compris comme un //outil de saisie//, et intervalliste comme une sorte de //dessinateur//, rien dans ces paragraphes ne permet d'approcher le sens spécifique de ces mots, c'est-à-dire ce qui distingue par exemple douchette de scanner et de crayon lecteur. Bref, à défaut d'un contexte élargi ou d'autres connaissances, les sens de douchette et d'intervalliste demeureront vagues.

De même, si les isotopies jouent bien un rôle éminent pour l'interprétation en général (Rastier 1987/1996), il ne faut pas surestimer leur importance pour l'explication des créations lexicales (Béciri 2003).53 C'est ce que démontrent nettement les cas précédents, où on a recourt à d'autres interprétants que l'isotopie, mais aussi des passages semblables au suivant, où futures ne se comprend que de manière vague (comme un probable produit financier54),

François Cornelis, patron de Petrofina, groupe pétrolier belge, en se fondant sur les marchés des "futures", voit le prix du baril de brut à 19 dollars en 2000, contre 15 aujourd'hui. (Le Point, 28/05/1994).

Une systématique de ces phénomènes reste à faire: au sein du texte, la constitution interprétative des créations lexicales connaît des parcours réguliers et même des configurations typiques liées à certains procédés de formation. Loin donc d'être le lieu d'une activité arbitraire, le niveau individuel du texte présente des fonctionnements, des opérations tout aussi nécessaires et objectivables que les règles morphologiques de constitution des mots, situées elles au niveau historique de la langue.

Le propos développé dans cette section correspond à une manière d'envisager la création lexicale comme fragment du contenu. Il reste à présent à examiner comment l'activité interprétative constitue la création lexicale en tant qu'elle exprime une continuité dans le texte où elle apparaît. Non plus, cette fois, en termes de cohésion/cohérence spatialisée (i.e. de connexions proches ou lointaines; supra 1.2 et 2.3), mais sous un angle temporel, celui des multiples dynamiques du sens textuel.


3.2 Sens et temporalité du texte – excursus

On a pu suggérer que la linguistique du texte gagnerait à s'inspirer d'un modèle musical plutôt que visuel, et où donc la temporalité joue un rôle de premier plan.55 C'est cette conception du texte que défendait, en pratique surtout, la critique littéraire de Rousset (1962). Le texte lui apparaît en effet comme une totalité qui se définit par une dimension temporelle, plutôt que spatiale, et où le dynamisme des formes constitue le phénomène primordial de la textualité:

Sonate plutôt que tableau – car le livre n'échappe pas à sa nature successive; s'il est bon de le restituer, par une opération de la mémoire et de la reprise inlassable, à un espace idéal qui le rende partout contemporain à lui-même, on n'oubliera pas non plus qu'il participe de l'ordre musical; il se développe, il se déroule, il s'écoule, il vit dans sa progression, il se découvre et se révèle dans le temps; il obéit à des rythmes, à des mouvements, à des cadences; il s'assujettit à des lois qui sont celles de la présentation successive. Aussi tiendra-t-on compte, surtout dans le roman, mais également au théâtre, des relations d'antériorité ou de postériorité d'une figure ou d'une situation au regard de toutes celles qui l'entourent, des moments d'apparition ou de fuite d'un motif, de l'étirement ou de l'accumulation des données, des préparations qui annoncent et des retours qui évoquent, des emplois possibles de la mémoire ou de l'attente du lecteur, et bien entendu des effets de vitesse, de tempo. (Rousset 1962: XIII).

Le texte, ainsi conçu comme une totalité en devenir, fluctuant et susceptible de mouvements rétroactifs ("retours qui évoquent"), se présente en particulier comme une continuité d'événements ("moments d'apparition", "étirement", "accumulation", "effets de vitesse") qui modèlent et modulent le cours de la progression textuelle. Ce que Rousset exprime encore ainsi,




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les "thèmes" insistants qui signalent une piste de la rêverie, peuvent être en même temps des "schèmes" formels par la fonction qui leur est assignée dans l'organisation générale, leur situation dans le développement, leurs phases d'affleurement ou d'immersion, de condensation ou d'alternance, leur contribution aux rythmes d'ensemble, leurs relations respectives". (Rousset 1962: XV).

Bien qu'elles visent le texte littéraire, ces caractérisations suggestives concernent au-delà toute sorte de textes. En effet, la temporalité qui constitue les formes langagières évoquées par Rousset n'est autre qu'une propriété définitoire de la textualité. Elle peut être manifestée par les moments d'apparition et de fuite d'une figure de récit, par l'alternance de foyers énonciatifs (ex. dans un dialogue), par des ruptures et des retours thématiques, bref par tout phénomène langagier en tension entre l'antériorité et la postériorité ou entre le rétrospectif et le prospectif.

Pour découvrir de quelles manières les créations lexicales contribuent à ces dynamiques, comment elles font événement au cours de l'évolution sémantique du texte, on peut faire appel à deux approches linguistiques du texte: la conception morphosémantique du texte proposée par Rastier (infra 3.3), et la conception pragoise de la progression thématique (infra 3.4).


3.3 Formes lexicales inédites et évolution du sens textuel

Reposant sur une sémantique interprétative (Rastier 1987/1996), la conception morphosémantique du texte n'est pas d'ordre distributionnaliste56 mais d'inspiration gestaltiste (Rastier 2001, 2006). Elle vise à poser le "problème, resté inaperçu, de la perception sémantique" (Rastier 1989: 9), au sens où

[…] seule une conception chosiste du langage pourrait écarter d'emblée l'hypothèse que le son et le sens sont traités de manière au moins en partie analogue. La compréhension d'une suite linguistique est pour l'essentiel une activité de reconnaissance de formes sémantiques, qu'elles soient déjà apprises ou construites en cours de traitement . (Rastier 1989: 9, nous soulignons).

Une idée que Rastier reformulera ainsi plus tard, où la référence à la Gestalttheorie se précise encore,

l'activité énonciative et interprétative consiste à élaborer des formes, établir des fonds, et faire varier les rapports fond-forme. La génération des fonds et des formes s'opère par rectification répétée (reformulations, corrections, reprises). (Rastier 2001: 48).

L'activité de reconnaissance de formes se spécifie alors en une activité de constitution où prévaut la durée de la perception, comme l'indiquent les termes de "génération" et de "rectification". En somme, la génération du sens textuel s'effectue dans une temporalité linéaire (antériorité/postériorité), selon les deux modes que sont la forme sémantique et le fond sémantique, et selon leur mise en rapport.

Pratiquement, les personnages de récit, les thèmes de conférence ou les concepts en philosophie peuvent être décrits comme des formes sémantiques, c'est-à-dire comme des petites structures de traits sémantiques. Les fonds sémantiques, par rapport auxquels les formes se détachent (i.e. prennent sens et valeur), se laissent eux décrire en termes d'isotopie.

Cette conception, rapidement brossée, permet de jeter une lumière nouvelle sur la création lexicale, en la rapportant à divers phénomènes textuels, tels les dynamiques linéaires de diffusion de forme (infra 3.3.2) et de sommation de fond et de forme (Rastier 2006, 2007, infra 3.3.3) ou encore les rythmes sémantiques (Gérard 2007, Gérard/Missire 2009, ci-après).

3.3.1 Rythmes sémantiques

Ces derniers, dont la fonction est souvent à la fois esthétique et rhétorique, offrent une première illustration de la manière dont les créations lexicales s'insèrent dans la dynamique du sens textuel.

Certains rythmes sémantiques sont flagrants, en particulier quand ils impliquent la qualité même de nouveauté de la création lexicale, et font ainsi alterner l'inédit et l'usuel,

Né. Biberonné. Aimé. [...] Pédagogisé. Civilisé. Acnéisé. [...] Ambitionné. Concurrencé. [...] Haut fidélisé. Enchaîné. Déchaîné. Découplé. Angoissé. Sexologisé. Immobilisé. Acheté. Crédité. Catalogué. Ciblé. Sondé. [...] La liberté, c'est le grain de sable qui, dans l'âme et dans l'esprit, permet enfin au petit d'homme de se mettre debout. À sa manière. Unique. (Nouvel Obsevateur, 15/04/1988).




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On pourrait qualifier ces rythmes d'"historiques", dans la mesure où ils reposent sur une opposition entre ce qui existe déjà dans la langue et ce qui n'y existe pas (ou pas encore). D'autres rythmes, ordinairement plus discrets, sont rendus davantage discernables par la présence d'une création lexicale57:

Préservez-nous de ces prétentions/imp/, de ces articles/lge/alourdis/imp/de mots/lge/ou expressions/lge/obscurs/imp/, de mots/lge/-taches/imp/qui enlaidissent/imp/la langue/lge/et rompent/imp/la communication/lge/. (Nouvel Observateur, 27/03/1987, courrier des lecteurs).

En position médiane du passage, mots-taches relaye ici une alternance de deux fonds sémantiques (constitués par la récurrence des traits /langage/ et /imperfection/). D'une part, en effet, le thématique du langage est explicite (articles, mots, expressions, langue, communication). D'autre part, la nature axiologique de ce mot composé – qui traduit un jugement fortement péjoratif – attire l'attention du lecteur sur les termes dévaluatifs du texte (enlaidissent, rompent, et par rétroaction prétentions, alourdis, obscurs) et contribue ainsi à en faire ressortir ce rythme sémantique binaire où alternent /langage/ et /imperfection/.


3.3.2 Diffusions de forme sémantique

Surtout, la conception morphosémantique du texte permet de décrire divers mouvements sémantiques, dont font partie les diffusions de forme, dans le cadre de la distinction entre forme et fond sémantique évoquée plus haut. Toutefois, avant d'en venir à notre propos, il paraît utile d'illustrer ce phénomène sur un exemple simple.

Dans ce récit d'une invention d'Athéna, il se trouve que les traits définitoires du mot-thème flûte (/longiligne/, /cylindrique/, /sonore/; abrégés en /l/, /c/, /s/) se trouvent également lexicalisés en différents endroits du texte, par d'autres mots (aulos, tibia mais aussi cris, gosier, oiseaux-serpents, défenses),

Ce fut Athéna qui inventa la flûte/c/,/s/,/l/. Elle confectionna la première flûte/c/,/s/,/l/(en grec aulos/s/,/l/, en latin tibia/l/,/c/) pour imiter les cris/s/qu'elle avait entendu s'échapper du gosier/c/,/s/,/l/des oiseaux-serpents/c/,/s/,/l/aux ailes d'or et aux défenses/l/,/c/de sanglier (La haine de la musique, P. Quignard).

Il y a diffusion de la forme {/longiligne/, /cylindrique/, /sonore/} en raison des reprises éparses de ces traits, mais pas seulement: d'une part, en effet, les traits /longiligne/, /cylindrique/, /sonore/ sont définitoires de flûte et entretiennent ainsi entre eux une connectivité remarquable (i.e. une forme est structurée), d'autre part le thème de la flûte est en position initiale dans ce texte narratif, et cette configuration implique normalement un mouvement de diffusion.

La représentation référentielle de flûte étant connue de tous, cet exemple offre une parfaite illustration de diffusion, au sens où ce qui est dispersé dans le texte (i.e. les traits définitoires) nous est entièrement donné d'avance (cognitivement). Il en va autrement de la création lexicale suivante – fille-ortie – dont le contenu ne nous est pas déjà donné et qui, de ce fait, ne permet pas d'observer le scénario d'un tout initialement constitué et s'éparpillant au fil du texte. Soit donc cette réaction agacée d'un lecteur de L'Express (l'explication des traits sémantiques suit l'exemple):

Une fille-ortie/i/,/r/, qui pique/i/,/a/,, rouspète/i/,/a/,/d/, critique/i/,/a/, n'est jamais contente/d/, a toujours raison/a/,/d/, trouve "marrant"/i/de mettre les autres en boîte/a/,/d/ mais se vexe/d/pour un rien et boude/d/pendant des heures, une telle fille a peu de chances d'attirer/r/les garçons et encore moins, de les retenir/r/ (L'Express, 25/08/1980, courrier des lecteurs).

Nocif et irritant du point de vue de l'énonciateur, ce type féminin (imaginaire) est dénommé par un composé métaphorique qui a pour effet immédiat de virtualiser dans ortie le trait générique /végétal/ (que seul pique, en raison de sa proximité avec ortie, évoque encore dans le texte). L'auteur développant son idée, ce sont les traits spécifiques /irritant/ (dénoté) et /répulsif/ (connoté) d'ortie qui font par la suite l'objet de multiples actualisations (rouspète, critique, a toujours raison, etc.). Au cours de ce réquisitoire, les traits /agressif/ et /dysphorique/, qui ne sont bien entendu pas propre à ortie puisqu'ils sont associés à une subjectivité, viennent également structurer le contenu du "personnage" de la Fille-ortie. Ainsi, dès pique, la forme sémantique {/irritant/, /répulsif/, /agressif/, /dysphorique/} se diffuse à différents moments du texte.

En fait, comme ce dernier exemple le laisse supposer, ce phénomène de diffusion se manifeste particulièrement dans les explications de néologismes (Baggioni et alii 1974), qu'elles soient partielles ou totales comme ici pour les autoroutes de l'information:




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AUTOROUTES DE L'INFORMATION. Le concept d'inforoutes a été lancé par Al Gore en janvier 1993. C'est la circulation ultrarapide et à très grande échelle de services, et de tout type d'information contenant textes, sons, images fixes et animées […] (Nouvel Observateur, 09/11/1995).

L'explication se réalisant via les mots soulignés, ce sont les traits sémantiques connotés et dénotés par autoroute (/grande dimension/, /rapidité/, /flux/) de l'information (/contenu/, /transmission/) qui se voient actualisés tout au long du texte.


3.3.3 Sommation de fond et de forme

Aux cas de diffusion de forme répondent des cas de sommation de fond sémantique, un type de mouvement textuel qui résume les traits évoqués auparavant dans le texte. Ce mouvement particulier, dans l'exemple suivant, repose sur la création du composé gynécées-prisons où sont conjoints les traits /féminité/ (/f/) et /liberticide/ (/l/):

Bien sûr, il y a [en Algérie] des familles traditionnelles, religieuses où cette condition [des femmes]/f/est restée ce qu'elle est dans le monde islamique, il y a des Messaoud-Zeghar/l/abusifs et autoritaires qui cloîtrent/l/leurs soeurs/f/dès qu'elles sont nubiles/f/ou mariables/f/, il y a des gynécées-prisons/f/,/l/ (Nouvel Observateur, 26/08/1978, courrier des lecteurs).

Ce composé relie en fait deux lignes thématiques, dans un texte qui traite de la position douloureuse des femmes dans certaines sociétés, ce que S. de Beauvoir a nommé "féminitude". D'un côté, gynécées est l'aboutissement d'un fond sémantique qui passe par condition, sœurs, nubiles et mariables. C'est la /féminité/, au sens large. De l'autre, prisons intensifie un fond qui est amorcé par Messaoud-Zeghar (avec les qualificatifs, abusifs et autoritaires) et cloîtrent, voire qui est déjà suggéré par la proximité de traditionnelles et de religieuses. Placée ainsi en finale de texte, la création gynécées-prisons permet la réalisation d'une pointe rhétorique où le propos critique n'est alors plus exprimé de façon tempérée.

La sommation de fonds se distingue toutefois de la sommation de forme, cas inverse de la diffusion de forme (supra 3.3.2). Ainsi dans cet exemple, il s'agit d'emblée de l'usage excessif des textes écrits mais l'auteur ne désigne nommément son thème de discours qu'à la toute fin du passage:

L'avalanche des textes... Multiples sont les causes qui y concourent. La France est un pays de droit écrit. Le monde moderne est de plus en plus complexe. Dans un univers médiatisé à l'extrême, ceux des membres du gouvernement qui n'ont pas, de par leur fonction, l'occasion fréquente de s'exprimer à la radio ou à la télévision cèdent parfois à la tentation de donner leur nom à une loi .[…]. Au moment où notre pays célèbre le centenaire de l'Institut Pasteur, il apparaît urgent de trouver des vaccins contre la réunionite et la textomanie! (Le Monde, 03/12/1987).

Autrement dit, le thème principal ne trouve sa lexicalisation compacte qu'à la fin du texte, avec textomanie, alors même qu'il est présent, sans être mis en lumière de cette façon, au tout début.

Toutes ces descriptions visaient à montrer comment la création lexicale (la composition nominale, en l'occurrence) contribue de diverses manières à la dynamique linéaire du sens textuel. On retiendra ici que les deux mouvements qui viennent d'être décrits représentent les deux façons complémentaires, pour une forme inédite, de s'inscrire dans l'évolution du sens textuel:

On montre ainsi que la dynamique linéaire du texte se constitue d'autres types de phénomènes que ce qui est observable au moyen de l'opposition thème/rhème. Pourtant, la conception morphosémantique de Rastier méconnaît un aspect crucial de la temporalité du contenu textuel, décrit précisément par l'école de Prague.


3.4 Dérivation, composition: types de progression thématique

3.4.1 Cas d'une unité thématique

Ne revenons pas sur ce classique de la linguistique du texte (Hoffmann 2000), sauf pour indiquer qu'on comprend ici l'opposition thème/rhème d'une façon simple, compte tenu de son histoire et des critères qu'elle peut se voir attribuer (Gülich/Raible 1977: 61–90). En référence à Daneš (1970) et Mathesius (1929), dans une perspective contextualiste, on qualifiera donc de thématique ce qui est considéré comme déjà dit ou déjà là, et de rhématique ce qui apparaît nouveau sur le fond du déjà dit.




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Partons de cette réaction d'un lecteur du Nouvel Observateur (on a /carcéral/: /c/, /travail/: /t/):

Je connais le cas d'un "jeune" qui n'en peut plus, à Fresnes/c/. Il y/c/est depuis quatre ans et en a encore pour un moment. Il ne demande qu'à en sortir/c/et à se réinsérer/t/, lui! Les juges/c/sont prêts à le laisser sortir/c/avant la fin de son temps/c/à condition... à condition qu'il trouve un travail/t/dans la région parisienne. Alors, ce prisonnier/c/en chômage/t/de liberté/c/parcourt des kilomètres en cherchant du boulot/t/au fond de sa cellule/c/ (Nouvel Observateur, 09/02/1976).

Le sens de ce passage repose sur deux isotopies qui passent par différentes unités du texte: la première isotopie est fondée sur le trait /carcéral/ (Fresnes, y, en sortir, juges, sortir, temps, prisonnier, cellule), la seconde sur le trait /travail/ (se réinsérer, travail, boulot). Or, chacun de deux constituants de en chômage de liberté participe à la génération d'une des deux isotopies (chômage actualise /travail/, liberté actualise /carcéral/, dans ce contexte). De ce fait, chômage de liberté participe à la continuité sémantique du texte: non seulement cette création reprend du déjà dit, mais elle prolonge une thématique qui se poursuit au-delà d'elle. Soit schématiquement:

Il en va de même dans cette suggestion fantaisiste d'un loto-impôt,

Nous n'aimons pas les impôts, mais nous aimons les jeux de hasard. Alors pourquoi ne pas jouer au loto-impôts? En payant 10 % de majoration on pourrait gagner le remboursement de l'impôt payé et une exonération d'impôt pendant 10 ans. (Événement du jeudi, 07/11/1985, courrier des lecteurs).

Ce qu'on vient de décrire ne figure qu'un des schémas possibles que peut revêtir une création lexicale pour servir la progression sémantique du texte: il en existe deux autres.


3.4.2 Unité thématique et rhématique: une quatrième catégorie d'unité?

En effet, on sait que toutes les unités linguistiques ne se laissent pas exclusivement qualifier de thématiques ou de rhématiques. Il y a aussi des unités qui ne sont, à proprement parler, ni thématiques ni rhématiques – celles que Firbas (1965) a nommé "transition". De son côté, l'approche textuelle de la composition lexicale, notamment, conduit à mettre en évidence une quatrième catégorie de progression thématique: celle des unités qui sont à la fois rhématiques et thématiques. Si cela en est bien une, nous illustrerons cette découverte à l'aide de deux exemples contrastés, dont on va voir qu'ils produisent différentes "tensions amont/aval" en ce qui concerne la progression thématique.

Nous illustrerons cette distinction à l'aide de deux exemples contrastés, dont on verra qu'ils produisent différentes "tensions" en ce qui concerne la progression thématique. Examinons tout d'abord ce passage extrait d'une chronique humoristique (on a /justice/: /j/, /faux/: /f/):

Il faut se retenir pour ne pas se lever et faire remarquer au juge/j/Cozette que sa simili/f/justice/j/a consisté à reprocher/j/à Mohamed M. un double délit/j/qu'il n'a pas commis/j/, f/et que celui-ci ne comprend rigoureusement rien à son procès/j/puisqu'il n'a même pas discuté une accusation/j/totalement fausse/f/ (Nouvel Observateur, 30/08/1976).

D'une part, -justice actualise le trait /justice/ éponyme et vient continuer le sens textuel en succédant à juge et en précédant reprocher, délit, commis, procès et accusation. D'autre part, le préfixe simili- introduit une modalisation véridictoire (selon le faux) qui n'est pas décelable en amont alors que /faux/ constitue une isotopie modale forte dans la suite du texte – au moyen de toutes les négations, et bien sûr au moyen du dernier mot fausse. Dans similijustice le premier élément est donc rhématique alors que le second est thématique:

La fausse justice est le thème principal du texte, son sujet, et son déploiement sémantique est alors "dramatisé" par la création de similijustice, dont le premier constituant produit chez le lecteur une attente des arguments de l'énonciateur.




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L'exemple suivant présente le cas inverse d'une création lexicale dont le premier constituant est thématique et le second rhématique (on a /violence/: /v/, /sexuel/: /s/, /transgressif/: /t/):

Qu'est-ce que le viol/v/,/s/,/t/? Un crime/v/culturel/transmis/, répond Gisèle Halimi. [...]. Culturel, cela signifie que le viol/v/,/s/,/t/est issu d'un passé, d'une culture/transmis/que ni les hommes ni les femmes ne peuvent assumer complètement. Le viol/v/,/s/,/t/est le prolongement/transmis/de ce passé dans notre présent. Voilà pourquoi ce crime/v/,/s//t/est différent des autres et, notamment, du meurtre/non transmis/ (Nouvel observateur, 10/07/1978, courrier des lecteurs).

Ici la progression s'appuie doublement sur crime culturel: i) la signification de crime continue de filer le thème issu du contexte interrogatif précédent, où viol évoque /violence/, /sexuel/, /transgressif/ (à interpréter comme criminel); ii) mais culturel introduit un élément (rhématique) aussi inattendu qu'obscur. En exprimant une qualité contradictoire à viol et crime, il crée en effet une attente d'explication envers la suite du texte, où on doit sans doute comprendre que le propre du viol est d'être /transmis/, à la différence du meurtre (/non transmis/). Crime culturel est ainsi à la fois thématique et rhématique:

En voici un autre exemple, où madon- reprend immédiatement femme (prolongé par nous), le suffixe -esque donnant lui à anticiper une dévaluation ici de nouveau actualisée par soumettre,

Les autres [garçons] sont sans attrait physique mais savent réfléchir. J'aime les écouter mais ils ne m'amusent pas car ils sont moralisateurs. Leur image de la femme est madonesque, XIXe siècle. Ils veulent nous respecter pour mieux nous soumettre. (Elle, 23/05/1977, courrier des lecteurs).

Toute création lexicale peut ainsi faire l'objet d'une saisie qui la constitue en un événement faisant sens envers l'amont et/ou l'aval du texte.

Nous venons d'évoquer la notion d'attente, mais il faut surtout souligner qu'il n'y a pas de progression sans regards en arrière, la compréhension de l'expérience présente se fondant sur les événements passés. Pour éclairer davantage l'expérience temporelle des créations lexicales, à partir de l'opposition thème/rhème, il resterait à décrire le parcours linéaire du texte, et les lectures rétroactives auxquelles peut être invité son interprète58: l'acte qui consiste à identifier une unité comme thématique ou rhématique est surtout un acte rétrospectif.


4 Synthèse: apports historiques, empiriques et théoriques

Pour répondre au problème de l'interprétation des créations lexicales, nous avons tâché d'expliciter en quoi ces dernières, en tant que phénomènes nécessairement textuels, ne peuvent ni être réduites à une problématique du signe (isolé) ni même être exclusivement encadrées par une problématique du texte. Plus précisément, en différents lieux de son développement, cet article apporte des éclairages aux plans historique, empirique et théorique.

Historiquement, la problématique du texte continue de privilégier un secteur d'étude qui est dominant depuis les années 70, celui des fonctions de l'innovation liées à la cohésion/cohérence du texte. Par contraste, d'autres secteurs apparaissent plus récents, comme celui de la progression thématique, mais aussi celui l'analyse discursive des innovations (supra 1.2.2). À ce titre, on retiendra que la description de corrélations entre une tradition discursive (dont les genres) et certains procédés de création offre un champ à découvrir, aujourd'hui outillé par la linguistique de corpus.

Empiriquement, nos exemples permettent de relever l'existence de toute une variété de phénomènes dont l'étude mériterait une analyse rapprochée. Sans renvoyer au détail de nos exemples, on notera pêle-mêle les cas de motivation intra-textuelle (pinochétiste, caoutchouchoutera), de variation lexicale contextuelle (invivre), de calque textuel (Emettence, égonomie) ou encore de création évaluante (jurologie, nijinskien).

Par ailleurs, en ce qui concerne la constitution interprétative des créations lexicales, on a souligné l'existence de parcours interprétatifs réguliers associés à certains procédés de formation des mots (conversion, troncation). Ils offrent une piste de recherche intéressante pour étudier, avec un objectif précis, les rapports entre les règles morphologiques et les conditions textuelles de réalisation des créations lexicales. Au-delà, c'est sur les rapports entre les différents types d'opération (donc, entre les niveaux du langage) que devrait se concentrer une théorie de la constitution interprétative (donc sémiosique) des créations lexicales:




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NiveauxType d'opérations
GénéralProcédés de formation
HistoriqueRègles de construction
IndividuelParcours réguliers

Enfin, par contraste avec les analyses actuelles des rapports entre création lexicale et progression thématique (Peschel 2002), le point de vue d'une sémantique interprétative a permis d'établir que la textualisation des innovations se concrétise par des phénomènes que ne laisse pas soupçonner la distinction thème/rhème, soit des rythmes sémantiques ainsi que des mouvements de diffusion de forme et de sommation de fond et de forme (supra 3.3). Du reste, nous avons pu décrire trois schémas distincts quant à la contribution des innovations à la progression thématique, dont l'existence (inaperçue?) d'unités de type thématique/rhématique:

Théoriquement, nous avons mis en lumière plusieurs dualités qui, semble-t-il, doivent être maintenues si l'on souhaite pleinement se représenter le fait que toute création lexicale ne fait sens que pour le texte qu'elle constitue et dans la situation de communication où elle est exprimée, et interprétée. Ces dualités, au nombre de trois, se font écho et forment ensemble les grands axes d'une conception multidimensionnelle de la création lexicale:

i) La dualité global-local (supra 1.2.2, 1.2.3): toute création lexicale s'envisage, d'une part, comme l'objet d'une détermination globale liée aux normes discursives, à la langue et au texte (comme contexte), d'autre part, comme l'origine d'incidences plus ou moins marquantes sur son entour linguistique, proche ou lointain. On reconnaît là un des principes généraux de l'herméneutique. Un tel principe fonde notamment l'étude discursive des créations lexicales, au sens où leur production comme leur interprétation est partiellement contrainte par des normes génériques.

ii) La dualité événementialité-secondarité (supra 2.1, 2.2): alors qu'une création lexicale fait l'objet d'une saisie qui la constitue en un événement ponctuel du texte, elle ne cesse pourtant pas d'être conçue comme seconde par rapport à l'action énonciative et interprétative. On définit ainsi un des principes de la perception textuelle des innovations, un principe que concrétise l'étude stylistique des innovations, dont Riffaterre (1973) apparaît emblématique.

iii) La dualité discontinu-continu (supra 2.3.3): d'un côté, la création lexicale (perçue) se présente comme une figure saillante qui réalise de fait une discontinuité dans le texte. De l'autre, la continuité est définitoire de toute création lexicale, dans la mesure où celle-ci n'est pas isolée mais s'inscrit structurellement dans le texte, aux plans de l'expression et/ou du contenu. Ce principe de sémiotique générale, qui est le troisième à caractériser la création lexicale comme phénomène complexe, fonde la description sémantique de la création lexicale textualisée.

À ce dernier principe correspond notre proposition de concevoir la création lexicale comme un micro-passage innovant (en reprenant Rastier 2007), un concept dont la dénomination signale la nouveauté, notamment par rapport à une problématique du signe, mais aussi par rapport aux approches majoritairement non-interprétatives au sein de la problématique du texte. C'est en effet à partir de ce concept qu'on peut envisager de décrire soit les processus interprétatifs qui constituent une création lexicale en une unité locale biplane (supra 3.1), soit les manières dont l'interprétation d'un texte inscrit une innovation dans le cours continu du sens textuel (supra 3.2).




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Notes

1 Avec le soutien de la fondation Alexander von Humboldt (bourse postdoctorale Humboldt).

2 Les concepts d'innovation et d'adoption ont été clairement définis par Coseriu (1978: 78): "Todo aquello en que lo hablado por el hablante […] se aleja de los modelos existentes en la lengua por la que se establece el coloquio, puede llamarse innovación. Y la aceptación de una innovación, por parte del oyente, como modelo para ulteriores expresiones, puede llamarse adopción".




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3 Cette distinction est proposée par Rastier (1996: 12–13): "Deux problématiques liées principalement aux sciences du langage nous paraissent dominer la tradition épistémologique occidentale. […]. La problématique dominante, de tradition logique et grammaticale, privilégie dans le langage les signes et la syntaxe. […]. L'autre, de tradition rhétorique ou herméneutique, prend pour objet les textes et les discours dans leur production et leur interprétation. On peut considérer qu'elle est centrée sur la communication: la pragmatique (qui a repris certains thèmes de la rhétorique disparue) en a présenté un aperçu restreint, largement déterminé par le positivisme logique qui chez Morris et Carnap a présidé à la naissance de cette discipline. En bref, nous appellerons la première problématique du signe, et la seconde problématique du texte.". Plus spécialement, "la signification est une propriété des signes, et le sens une propriété des textes", ce qui "suppose une contextualisation maximale aussi bien par la langue (le contexte, c'est tout le texte) que par la situation (qui se définit par une histoire et une culture, au-delà du hic et nunc seul considéré par la pragmatique).".

4 "Du jour où les travaux de Raynouard et de Diez eurent fondé la philologie romane, de tous côtés, en France, en Italie, en Allemagne, dans les pays scandinaves, toute une armée d'ouvriers se mit à défricher le terrain nouveau conquis à la science." (Darmesteter 1877: 1). Voir Oesterreicher (2000).

5 Au sens de Coseriu, le concept de langue repose sur l'opposition système/norme: "la norme est un ensemble formalisé de réalisations traditionnelles; elle comprend ce qui "existe" déjà, ce qui se trouve réalisé dans la tradition linguistique; le système, par contre, est un ensemble de possibilités de réalisation ; il comprend aussi ce qui n'a pas été réalisé, mais qui est virtuellement existant, ce qui est "possible", c'est-à-dire ce qui peut être créé selon les règles fonctionnelles de la langue" (Coseriu 2001: 274).

6 Le fonctionnement extralinguistique dépasse cependant la relation mot-objet. Certes, une création lexicale peut remplir une fonction de dénomination: "dans son principe, la néologie de dénomination vise à une exacte adéquation du nom avec l'objet ou le concept" (Guilbert 1975: 40–41). D'ailleurs, dans les textes, la création lexicale sert en particulier à stabiliser les concepts (Peschel 2002: 271). Mais elle peut aussi, en tant qu'acte de langage, servir de multiples visées illocutoires et perlocutoires (Marcellesi 1974; Sablayrolles 1993, 2000).

7 A la dérivation, la composition et l'emprunt (1874, 1877) se joindront, une dizaine d'années plus tard (1888), les procédés sémantiques de la synecdoque, des restrictions de sens, de la métonymie, de la métaphore et de la catachrèse. Un tel ensemble de procédés forme un répertoire désormais classique, mais qui varie toutefois selon les courants et les théories (voir les tableaux synthétiques de Sablayrolles (1996–1997: 32–45).

8 Bien entendu, il existe d'autres objets et motifs de divergence entre les approches de la formation des mots. Le débat peut ainsi porter sur un phénomène particulier (ex. refus des opérations traditionnelles de dérivation "régressive" et "parasynthétique"; D. Corbin 2004: 1287–1288) ou au contraire sur un problème fondamental (ex. la compositionnalité; e.g. Zwanenburg 2000), ou encore impliquer l'adéquation des présupposés théoriques, comme le montre l'évolution de la réflexion sur la syntagmatique des composés: "Il faut attendre la naissance de la grammaire générative pour voir l'approche syntagmatique prendre son plein essor, caractérisée par un rapport direct et explicite entre syntagme et composé, et qui s'oppose à une addition d'éléments morphologiques, bases plus affixes. Toutefois dès la deuxième moitié du 19e siècle apparaissent les premières ébauches d'une analyse et d'une explication suivant lesquelles la composition découlerait de la syntaxe." (Klingebiel 1988: 168).

9 Leur très grand nombre a donné lieu a un important travail de comparaison où Sablayrolles distingue, entre autres, deux manières d'agencer les procédés de formation des mots, selon une classification "plate" et selon une typologie hiérarchique (Sablayrolles 1996–1997: 14): "la première consiste à faire un catalogue, en mettant toutes les données sur le même plan (cf. Boissy 1988 ou Picoche 1977), l'autre consiste à vouloir organiser les données, par une tentative de situer les éléments retenus (catégories de classement) les uns par rapport aux autres (cf. Hagège 1983 ou Tournier 1985).". Emblématique de la seconde voie (la plus représentée et descriptivement la plus intéressante), la typologie des procédés conçue par Sablayrolles, à la suite de Tournier (1985), a l'ambition de tenir une double exigence d'exhaustivité et de lisibilité (Sablayrolles 2000; Sablayrolles/Pruvost 2003).

10 Ainsi, chez Pruvost/Sablayrolles (2003), le "détournement" s'applique spécialement aux proverbes, titres d'oeuvre, fragments de chansons, etc., c'est-à-dire à des unités discursives (occasionnelles ou traditionnelles).

11 Qui tient quelque part du faux-procés, puisqu'il n'y a pas de commune mesure entre la finalité descriptive d'une typologie et celle d'un modèle sémiologique. Au reste, les typologues sont forts conscients des limites de leur entreprise: "une énumération des procédés rangés sous quelques grandes rubriques tend à laisser penser que chaque néologisme est produit par un procédé et un seul, alors que, quelquefois, plusieurs procédés concourent à la création du néologisme" (Sablayrolles 2000: 210).




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12 "L'évolution lexicale que l'on peut observer ici comporte, premièrement, un changement sémantique: à travers une similarité métaphorique, on passe du concept OISEAU au concept AEROPLANE (dimension sémantique). Deuxièmement (et en même temps) la forme avion est dérivée par suffixation de la base avis (dimension morphologique). Troisièmement nous assistons au passage d'un élément latin au lexique français à travers un emprunt (dimension stratique)" (Gévaudan/Koch 2010: 118).

13 D'où la nécessité de produire des catégories dites neutres, celles de "la continuité sémantique (‘Identité'), morphologique (‘Zéro') et stratique (‘Stratum') s'imposent également en raison de l'examen isolé des trois dimensions de la filiation (v. 4.1.)". (Gévaudan/Koch 2010: 121).

14 Où par exemple, dans un modèle-scenario des phases du changement, la forme reconfigurée (ici unité B) s'impose progressivement, par seuils, dans la chronologie des contextes (unité A > Ab > aB > unité B).

15 "Notre choix théorique fondamental est l'associativité: il repose sur l'idée que le sens d'un mot construit est construit en même temps que sa structure morphologique, et compositionnellement par rapport à celle-ci, et que la représentation grammaticale doit refléter cette construction simultanée de la structure et du sens". (Corbin 1991: 9).

16 "les mots construits et leurs bases peuvent être soumis à l'action de règles proprement sémantiques qui ont pour effet la construction d'un sens dérivé du sens premier: ces sens sémantiquement dérivés, selon nous construits dans la langue, ajoutés au sens premier (dérivationnellement prédictible s'il s'agit d'un mot construit), constituent le potentiel de référence d'un mot (ce qu'on appelle banalement sa polysémie), source commune des utilisations référentielles diverses de ce mot; en général, à un sens correspondent plusieurs actualisations référentielles, et on parlera alors de polyréférence" (Corbin et alii 1993: 65–66).

17 On établit (Corbin 2004) ainsi que le suffixe -ise n'est disponible que pour des adjectifs en -ard (bâtardise vs. °blafardise), que -if nécessite une base terminée par une dentale (défensif vs. *rêvif), etc. et, plus largement, qu'il existe des combinaisons catégorielles autorisées en français et d'autres qui ne le sont pas (ex. la combinaison Nom + Nom peut former un adjectif mais l'inverse n'est pas possible, etc.).

18 Il est très important de voir que le point de départ n'est absolument pas l'observation d'innovations vives. En effet, à la différence des études de néologie, et de l'approche textuelle que nous défendons ici, cette morphologie dérivationnelle exclut de son champ d'étude toutes les créations dites "impossibles" (*impubériser, *puceler, *rêvif, etc.). Tournée vers la langue mais tournant le dos au discours, cette approche logico-grammaticale conduit de fait à écarter une large part de la créativité lexicale (littéraire, journalistique, publicitaire, etc.).

19 Entre autres, "il semble que la spontanéité propre des moyens oraux favorisent des processus de formation néologique déterminants, comme l'emprunt à d'autres langues et le figement syntagmatique (ou néologismes créés par une structure syntaxique lexicalisée)" (Cabré et alii 2003).

20 Relèvent aussi de cette approche les analyses sur les normes des courants littéraires, par exemple sur le néologisme burlesque au XVIIe siècle, et même quand la production du néologisme paraît liée à une poétique personnelle (ex. sur Gide, Angelet 1973), c'est-à-dire à une norme individuelle.

21 Tous nos exemples sont issus des bases de néologismes Bornéo1 et Bornéo2 (http://atilf.atilf.fr/). N'objectons pas à certains des néologismes de ces bases (1976–1996) d'être lexicalisés aujourd'hui ou de l'être dans des domaines spécialisés (ex. intervallistes et future, infra 3.1.2): la valeur de l'inédit est relative aux conditions socio-historiques ainsi qu'aux connaissances du sujet au moment de l'interprétation (Gérard 2011b). Du reste, seul le temps nous aura manqué pour trouver les innovations vives que nous souhaitions produire; la pertinence de nos exemples ne paraît pas en pâtir.

22 Les auteurs qui thématisent ce problème n'offrent en général guère plus qu'un constat de nécessité (e.g. Wildgren 1982; Branca-Rosoff 1999).

23 Sur les critères légitimant les corrélations entre un procédé particulier et une tradition discursive, voir Peschel 2002: 286–297.




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24 De façon très imagée et par opposition à ceux de type b) qui, eux, sont déterminés "d'en haut" par les normes discursives.

25 Il ne s'agit pas de son incidence sur l'interprétation des mots-signes qui l'entourent immédiatement (infra 3.3), mais de phénomènes méso- ou macrotextuels.

26 Admettons simplement, sans chercher absolument à les distinguer, que "les jugements de cohérence dépendent des connaissances du monde et de la situation, qui sont partagées ou non par l'énonciateur et son destinataire, alors que la cohésion du texte s'évalue en fonction de l'organisation sémantique interne." (Riegel et alii 1994: 604).

27 Pour un rappel de leur définition, infra 2.2 (en note).

28 Par ex. les variations évaluatives impliquées dans les oppositions du type malvoyant vs. déficients visuels, ou le rôle dévalorisant d'affixes tels que -et(te) ou -asse.

29 Historiquement, en France, la création évaluée remonte à la lutte séculaire des puristes et des néologues (Darmesteter 1877: 8–32). Phénoménologiquement, celle-ci est un indice de l'activité évaluatrice permanente des sujets parlants (Gérard 2011a). On peut ainsi juger, à la réflexion ou sur le vif, qu'une création désignative est utile/inutile (ex. dans les sciences et techniques), qu'un dérivé est inadapté à telle situation de communication (ex. linceuliser dans une oraison), etc.

30 Le caractère soit saillant soit furtif d'une création verbale dépend certes de ses qualités morphologico-sémantiques de forme (Landragin 2004, 2009), mais aussi du point de vue adopté et de la pratique sociale en cours (Gérard 2011b).

31 C'est-à-dire, soit dans son rapport référentiel à un objet (fonction dénominative) soit dans son rapport "pragmatique" à un sujet (actes illocutoires et perlocutoires).

32 Autre chose est la réception de cet inédit sémantique, que certaines lectures peuvent parfaitement réduire à des lieux communs et assimiler à leurs préjugés.

33 Pour être exact, il vaudrait mieux dire que les "mots" possèdent un caractère éphémère dans la perception, à la différence du sens: "s'il y a encore ici distinction entre forme [sic] et sens, elle tient d'abord à la fugacité des unes, qui contraste avec la durée de l'autre" (Rosenthal/Visetti 1999: 216).

34 Isotopie: effet de la récurrence d'un même trait sémantique. Les relations d'identité entre les occurrences du sème isotopant induisent des relations d'équivalence entre les sémèmes qui les incluent. Ex.: dans "Je bois de l'eau", ‘bois' et ‘eau' contiennent le trait définitoire /liquide/. (Rastier 1987/1996).

35 "Il y a effet lorsque le néologisme s'impose de telle manière que le lecteur ne puisse l'éviter, c'est-à-dire lorsqu'il y a violation de forme en microcontexte, et qu'en macro contexte une séquence de faits homologues soutient cet effet". (Riffaterre, in Adda 1979: 334).

36 Ce terme identifie une perspective textuelle et, surtout, interprétative, puisqu'il renvoie explicitement à la tradition herméneutique des passages parallèles (Szondi 1989; Compagnon 1997).

37 L'étude de Riffaterre sur le mot grouillis, dans un passage de Claudel, est à ce titre exemplaire.

38 Les passages peuvent en effet être de différents formats, Rastier ayant en l'occurrence en vue un passage composé de plusieurs signes, comme par exemple un syntagme ou une période.

39 "Le mot (en contexte, bien entendu) peut être considéré comme un passage minimal" (Rastier 2007: 40).




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40 Les deux expressions fragment du contenu et extrait de l'expression évoquent d'elles-mêmes cette dualité: bien que détachés, par définition, fragment et extrait continuent d'être reliés à un ensemble (un texte, un intertexte), ce dernier fut-il perdu ou oublié.

41 Citons aussi Riffaterre: "La seule distinction possible, à mon sens, doit être entre le néologisme qui fait effet et celui qui n'en a pas. Et le seul endroit où l'effet puisse être observé, c'est le texte. Il y a effet lorsque le néologisme s'impose de telle manière que le lecteur ne puisse l'éviter, c'est-à-dire lorsqu'il y a violation de forme en microcontexte, et qu'en macrocontexte une séquence de faits homologue soutient cet effet." (Riffaterre, in Adda 1979 : 334).

42 Car toute création langagière implique non seulement une saisie sémantique (linguistique), mais aussi une saisie axiologique et fonctionnelle (supra 1.2.3), et en outre historique (en tant qu'inédite vs. usuelle vs. archaïque), elle aussi soumise à des conditions d'interprétations (Gérard 2011b).

43 Alors que la sémantique traditionnelle pratique d'habitude une description "hors-sol", en se servant des procédés de formation des mots pour décrire le changement entre deux "états" d'une même langue ou entre deux systèmes linguistiques différents (emprunts).

44 Au niveau supérieur, on peut concevoir les tropes comme des schémas cognitifs de portée universelle, les autres procédés tirant eux leur généralité du très grand nombre de langues auxquelles ils conviennent (ex. la composition n'est propre ni au français ni aux langues romanes). Pour une approche théorique, on pourra se reporter à Gévaudan (2007: 116–120, 140), qui définit un système heuristique de quatre procédés abstraits de formation de mots, qui sont universels dans la mesure où ils recouvrent tout procédé possible dans une langue particulière quelconque.

45 Niveau dont rend compte une sémantique interprétative (Rastier 1987/1996, 2001), ou encore une linguistique du texte conçue comme "linguistique du sens" (Coseriu 2006).

46 Par exemple, comme ils possèdent des modes référentiels distincts, les discours scientifique et littéraire impliquent sur ce plan des interprétations très différentes des innovations qu'ils connaissent.

47 Les conceptions de l'herméneutique (Wach 1984) demeurent non seulement séparées mais aussi, depuis la seconde moitié du XXème siècle, en conflit ouvert. Dans cette situation, Thouard propose notamment de faire "droit à l'exigence d'objectivité de la philologie positiviste aussi bien qu'à la problématisation du sens de l'herméneutique "philosophique"" (2002: 2–3). Nous avons suggéré de "raisonner" cette herméneutique critique pour éviter que, en donnant la parole à tous, on ne parle finalement de nulle part. Le modèle tripartite du langage (Coseriu 2001: 34–35), et ses niveaux individuel, historique et universel, semble offrir une solution adaptée (Gérard 2011a).

48 Le principe de compositionnalité du sens, défini avec prudence, rencontre le leitmotiv bien connu de la Gestalttheorie: "Compositionality principle: The meaning of a complex expression is determined by the meanings of its parts and the operations performed on those parts. […]. To put it in a familiar way, the meaning of the whole is more than the sum of its parts" (Hoeksema 2000: 851).

49 Celui des règles universelles de l'activité du parler (Coseriu 1981: 269–274). Savoir parler ce n'est pas seulement connaître une langue c'est en même temps savoir s'exprimer avec une certaine cohérence, un certain ordre logique (ne pas dire second avant premier), etc.

50 "Promenade étrange à Miaoli, en compagnie de dieux grecs, de fraises géantes, de dragons, de tout, de n'importe quoi et de beaucoup de lapins." (LeMonde, 04/03/2011).

51 Suite d'opérations permettant d'assigner un ou plusieurs sens à un passage ou à un texte (Rastier 1987/1996).

52 Une unité du contexte linguistique ou sémiotique permettant d'établir une relation sémique pertinente entre des unités reliées par un parcours interprétatif (Rastier 1987/1996).

53 "Juillet prochain, à Naples: il fait doublement chaud. Car c'est un été "rouge". La gauche vient de remporter les élections italiennes. Les communistes vont participer au gouvernement". (Nouvel Observateur, 10/05/1976). L'isotopie politique conduit ici à réécrire rouge par communiste (adjectif).

54 Il s'agit en réalité de contrats à terme négociés sur les marchés réglementés.




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55 "C'est ici l'ouïe, et avec elle le modèle musical de la Gestalt, qui se trouve convoqué." (Rosenthal/Visetti 1999: 215).

56 Ce qualificatif désigne une conception qui définit le texte comme le produit d'une composition d'unités élémentaires (propositions) nécessairement localisables et identifiables par des procédures d'analyse grammaticale (segmentation, commutation). Citons par exemple Adam: "La linguistique textuelle a pour objet la théorisation des agencements de propositions et de paquets de propositions au sein de l'unité de haute complexité que constitue un texte. […]. Au niveau 1, les opérations de segmentation de la (des) propositions(s) aboutissent à une unité typographique ou à une unité orale de composition textuelle qui correspond rarement à ce que nous appelons une phrase. Au niveau 2, des paquets de propositions (périodes et séquences) sont soulignés par la segmentation. Au niveau 3, enfin, la segmentation met en évidence des plans de textes et elle aboutit à l'unité langagière d'un tout verbal souvent pluri-sémiotique […] possédant un début et une fin péritextuellement déterminés" (Adam 1999: 38–39, nous soulignons).

57 Soit en indice dans le texte /lge/ pour /langage/ et /i/ pour /imperfection/. La dénomination /imperfection/ est retenue faute de mieux (/dégradation/ serait aussi envisageable).

58 Rapportée à la perception sémantique, les enchaînements typiques de la progression thématique (Eroms 2000) présupposent des actes d'interprétation en série.