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Hélène Perdicoyianni-Paléologou (New York)



Jean Hadas-Lebel (2004): Le bilinguisme étrusco-latin. Contribution à l'étude de la romanisation de l'Étrurie. Louvain, Paris: Éditions Peeters. (= Bibliothèque d'Études Classiques, 41)



Cet ouvrage se propose d'étudier le bilinguisme des Étrusques à travers les inscriptions en alphabet latin.

La première partie comporte deux chapitres, dont le premier est consacré aux témoignages littéraires du bilinguisme étrusco-latin. Jean Hadas-Lebel étudie la forme du bilinguisme qui est à l'origine du contact entre Étrusques et Romains. Bien que les sources historiques et littéraires ne fournissent guère d'informations sur ce sujet, l'Auteur entreprend d'esquisser l'histoire du bilinguisme archaïque chez les deux peuples. Pour ce faire, il met en pratique une approche sociolinguistique du problème qui lui permet de faire la distinction entre le bilinguisme aristocratique et le bilinguisme populaire chez les Romains. Pour ce qui est du bilinguisme archaïque chez les Étrusques installés à Rome et en Étrurie, le silence des sources historiques amène l'auteur à admettre l'existence d'un bilinguisme individuel et marginal. Toutefois, le témoignage de Denys d'Halicarnasse, qui nous fait savoir que Mucius Scaevola avait appris l'étrusque auprès de sa nourrice, et celui de Tite-Live, qui nous informe qu'au IVème siècle il était convenable d'enseigner la langue étrusque aux jeunes Romains, mettent en lumière l'existence d'un bilinguisme étrusco-latin dans la Rome archaïque. Ce bilinguisme auraient influencé les Étrusques, qui vivaient à Rome pendant et après le règne des Tarquins. Notons que Tite-Live nous fournit le seul indice sur l'existence d'Étrusques explicitement bilingues qui venaient de Caeré et servaient occasionnellement d'interprètes aux légions romaines. Enfin, nous sommes complètement dépourvus d'informations sur le bilinguisme des Étrusques en Étrurie.

Le chapitre suivant traite la question du second bilinguisme étrusco-latin, qui prend son point de départ après la destruction de Véies en 396, date considérée comme le début de la romanisation de la Toscane. Le second bilinguisme, qui est une réalité essentiellement étrusque, apparaît aussi bien chez les aristocrates que dans le peuple, ce qui permet d'émettre l'hypothèse sur l'existence chez les Romains d'une politique délibérée d'imposer le latin aux peuples soumis à leur empire. La romanisation des Étrusques pose également le problème du processus d'acculturation et d'assimilation. Il s'agit de savoir jusqu'à quand les Étrusques continuèrent à parler la langue de leurs ancêtres. Pour ce faire, l'auteur a recours aux témoignages littéraires sur le maintien de l'étrusque au Ier siècle avant J.-C. ainsi qu'à ceux sur le Ier siècle après J.-C. et les siècles ultérieurs. Le chapitre se termine par l'examen de la persistance de la langue étrusque chez les Romains à la fin de la République et sous l'Empire.




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La deuxième partie fait état de l'apport de l'épigraphie étrusque sur les contacts linguistiques entre Étrusques et Latins. En effet, la documentation épigraphique, allant du VIIème siècle au Ier siècle avant J.-C., permettra de voir où, quand et comment le latin est parvenu à s'introduire chez les anciens Toscans et à concurrencer leur langue ancestrale. Pour mieux dégager l'influence du latin sur la langue étrusque, l'auteur étudie, dans un premier temps, le domaine de l'onomastique et, ensuite, celui de la morphologie. L'analyse des emprunts onomastiques se porte sur les prénoms latins dans l'onomastique étrusque, les cognomina et appellatifs anthroponymiques étrusques d'origine latine et, enfin, les influences latines sur le formulaire onomastiques étrusque. D'autre part, l'examen des emprunts morphologiques est fondé, d'une part, sur l'origine, la naissance et le développement du suffixe -ie et, d'autre part, sur l'origine de la marque féminine -(i)a ainsi que sur le rôle joué par ce même morphème dans constitution des gentilices et cognomina tardifs. À cela s'ajoute l'étude du suffixe diminutif -le / -la.

La troisième partie étudie l'apport de l'épigraphie latine d'Étrurie. Dans le premier chapitre, l'Auteur tâche de dater et de définir ce que fut l'ère de transition ou l'âge d'or du bilinguisme. Dans un second temps, après avoir présenté une classification sommaire des inscriptions remontant à cette époque, l'Auteur opte pour une analyse générale et thématiques de ces inscriptions. Pour ce faire, il tente d'en extraire des conclusions aussi bien sur le développement général du bilinguisme dans la population étrusque que sur les capacités linguistiques des individus auxquels ces inscriptions appartenaient. L'Auteur ne s'intéresse qu'aux inscriptions unilingues, à savoir celles écrites en latin. L'étude de ces inscriptions est fondée, d'une part, sur les indices linguistiques, à savoir les interférences morphologiques, phonétiques et lexicales, et, d'autre part, sur les indices onomastiques. L'examen de ces indices se fait à la lumière de l'influence étrusque sur les prénoms masculins et féminins, sur les gentilices et, enfin sur les cognomina. Le troisième chapitre est consacré aux inscriptions bilingues étrusco-latines, qui offrent le témoignage le plus concret et le plus direct du second bilinguisme. Après avoir dressé un rapide inventaire des ces inscriptions qui sont au nombre des trente-deux, en distinguant parmi les inscriptions digraphes celles qui sont vraiment bilingues, l'auteur aborde les textes eux-mêmes, en en prenant en considération aussi bien la forme que le fond. Cette approche permet de dégager l'influence romaine dans les bilingues et de définir les limites de la romanisation au moyen des indices paléographiques, onomastiques et linguistiques.

La volume se termine par une conclusion sur la date de la naissance du bilinguisme étrusco-latin et sur sa présence dans les sociétés étrusque et latine.

À la conclusion s'ajoutent une riche et exhaustive bibliographie, un index des mots et des noms étrusques, un index des mots et noms latins et latinographes, un index des mots et noms grecs ainsi qu'un index des mots et noms falsiques et sabelliques.




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Bref, il s'agit d'un ouvrage de qualité, qui met en lumière les divers aspects du bilinguisme étrusco-latin, dont l'origine se trouve dans les échanges politiques, culturels et commerciaux entre Étrusques et Latins. Pour mieux analyser ce phénomène linguistique, l'Auteur a employé des différentes sources, telles que la littérature gréco-latine, l'épigraphie étrusque et l'épigraphie latine d'Étrurie. Par la façon dont le sujet est abordé, le livre peut intéresser non seulement les philologues et les linguistes mais aussi les historiens et les épigraphistes.