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Ariane Lüthi (Basel)



Philippe Met (2009): La Lettre tue. Spectre(s) de l'écrit fantastique. Villeneuve d'Ascq: Presses Universitaires du Septentrion.


Philippe Met, rédacteur en chef de la revue French Forum et auteur de plusieurs ouvrages dont Formules de la poésie. Études sur Ponge, Char, Leiris et Du Bouchet (1999), a consacré une étude foisonnante au fantastique, plus précisément au fantastique de la lettre, et à la lettre du fantastique. En examinant la notion de "lettralité" au sein de ce genre, il met en lumière la performativité de la lettre fantastique. À partir d'un corpus protéiforme qui confronte des époques, des airs linguistiques et des degrés de notoriété fort variés, le critique cherche à ouvrir un autre champ d'analyse à l'étude du texte fantastique en définissant ce qu'il nomme donc une poétique "lettrale". Par le biais de ce néologisme, Philippe Met souligne le rôle central de la et des lettres – en envisageant à la fois la correspondance et la littérature – sans perdre de vue les multiples autres façons dont textes et documents peuvent prendre forme dans le fantastique (qui est, d'après Jean Bellemin-Noël (1972), non seulement structuré comme un fantasme, mais s'apparente à un effet d'écriture). Quels sont alors les aspects de l'effet fantastique?

Le titre de l'étude, qui fait écho au début de la Seconde Épître aux Corinthiens de Saint Paul ("La lettre tue, mais l'Esprit vivifie", 2 Cor., 3, 6), renvoie aussi à Lacan qui a repris cette formule dans "L'instance de la lettre dans l'inconscient". En citant ce passage des Écrits lacaniens en exergue de son ouvrage, Philippe Met indique dès les premières lignes l'importance qu'occupe dans son essai l'approche psychanalytique. Aux yeux de Lacan, "[c]ertes, la lettre tue, dit-on, quand l'esprit vivifie […] mais nous demandons aussi comment sans la lettre l'esprit vivrait." En jouant sur l'ambiguïté, le titre La lettre tue – où résonne d'une part le fait de se taire, d'autre part celui de tuer – annonce bien la démarche du critique qui est également ambiguë: la thèse étant que la lettre (de l'alphabet tout autant que la missive) peut tuer dans le texte fantastique, le lecteur comprend rapidement que la lettre tue – celle que l'on tait – peut tuer à son tour. Soulignons d'emblée l'originalité de la démarche dans un domaine où l'on songe spontanément à Todorov et à ses travaux incontournables sur le fantastique. Voilà une autre manière d'approcher un corpus volontairement hétérogène afin de dépasser la notion de Todorov, selon laquelle le fantastique est essentiellement créé par l'effet de doute entre surréel et réel. On peut se demander jusqu'à quel point ce dépassement réussit ou non.




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Au sein d'un corpus varié, Philippe Met analyse de plus près des œuvres de Prosper Mérimée, Jean Ray, H. P. Lovecraft, Guy de Maupassant, Algernon Blackwood, Michel de Ghelderode et Hanns Heinz Ewers. Bien que son étude soit ancrée dans la théorie psychanalytique et la déconstruction, il se concentre sur les textes primaires et en propose une relecture en partie détaillée. C'est, entre autres, en cela que cet essai représente une contribution importante dans le domaine du fantastique: (re)lisant attentivement, le critique examine des textes et des écrivains injustement ignorés, et cela en juxtaposant de manière inédite des écrivains que l'on n'aurait pas forcément tendance à lire conjointement: Lovecraft et Ray, Maupassant et Ewers, Blackwood et Ghelderode. Si le corpus de "la vieille Europe" et de "la jeune Amérique" mène du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, c'est que le genre en tant que tel tend par la suite à se diversifier. À la recherche d'autres "fantastiqueurs" (majeurs ou mineurs), on pourrait évidemment étendre le corpus et suivre les méandres de la lettre jusqu'à une période plus récente, ou questionner les confins des genres en intégrant le cinéma – mais en se concentrant sur les auteurs analysés par Philippe Met, on a déjà affaire à une abondance de références, tout en se limitant à un cadre temporel assez étroit.

Il est évident que ce "parcours des fantômes de la lettre, du spectre de la littéralité et des apparitions de la littérarité du fantastique" (253) ne se propose pas d'offrir une vue synthétique, voire exhaustive de la lettralité fantastique. Toutefois, en sillonnant à travers les époques et les traditions nationales, et en proposant des confrontations inédites, cet essai dévoile des arabesques et des effets spéc(tac)ulaires qui font penser à Borges ("grand absent de notre essai même si son ombre tutélaire est perceptible de place en place", 254). Bien qu'une certaine approche ludique transparaisse dès le titre de l'ouvrage, on a toutefois affaire à une connaissance encyclopédique des littératures fantastiques de la part d'un comparatiste capable d'identifier un vaste réseau de références intertextuelles non seulement pour les auteurs d'une littérature nationale, mais aussi au-delà des frontières, telle la dette de Ewers à Poe et Théophile Gautier, par exemple. Le nombre de renvois ainsi que les diverses ajouts – qui font parfois penser à de brèves digressions – peuvent rendre la lecture ardue, mais soulignent en même temps l'insistance du fantastique sur la lettralité dans toutes ses formes, que ce soit par le biais du matériel paratextuel ou intertextuel, d'un manuscrit trouvé ou d’un journal intime (fictif), de messages codés ou de traductions, d'auto-référentialité ou d'auto-parodie, de trames narratives ou de mises en abyme…




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La Lettre tue. Spectre(s) de l'écrit fantastique se compose d'une introduction, de quatre chapitres dont chacun (à l'exception du premier qui est intégralement consacré à Mérimée) est divisé en deux grandes sections consacrées au rapprochement de deux auteurs, puis d'une conclusion. De nombreuses notes de bas de page et une bibliographie solide viennent compléter le travail. L'introduction propose une première définition du concept de lettralité. Philippe Met y démontre de façon convaincante que l'inscription de la lettre dans la littérature fantastique est quasi omniprésente; des exemples connus comme Frankenstein (1818), Dracula (1897), L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde (1886) illustrent le fait que la majorité de ce que l'on considère de nos jours comme "les grands textes du genre en forme de mythes principiels sont ostensiblement saturés d'écrits et de documents de tout ordre" (13). L'auteur précise d'emblée son intention d'examiner les œuvres moins étudiées: le parti pris de "contourner" certains chef-d'œuvre jugés habituellement incontournables, forme le point de départ méthodologique de la démarche. Dans l'introduction, de brefs sous-chapitres abordent, de manière plus théorique mais tout en établissant déjà des liens avec les parties suivantes du livre, d'autres formes de la lettralité: le roman épistolaire ou la lettre réelle (comme chez Kafka, dans ses Lettres à Milena, ou dans La Lettre volée de Poe), mais aussi des concepts liés aux lettres (le "x", le "a" et l'aleph d'une part, le golem et le shibboleth d'autre part). "La lettre, l'être, et l'autre", pourrait-on dire avec Lacan, ou alors, reprenant une note inscrite dans Le Livre de mon bord de Pierre Reverdy: "La lettre tue peut-être l'esprit mais elle ne peut tout de même pas l'enterrer." Cette interrogation sur la création littéraire, voire sur toute genèse artistique, forme la trame théorique: "C’est donc bien la lettre absente […] [l]ettre morte, s'il en est, qui renvoie tout aussi bien à l'obscure choséité du réel…" (28) Effet du fantastique et effet du réel (au sens où l'entend Barthes) sont étroitement liés.

"Pour une poétique lettrale" s'intitule la dernière partie de l'introduction où le critique propose de systématiser l'approche de la lettralité du fantastique: "la force et l'intérêt d’un texte fantastique ne résident peut-être pas tant dans le pouvoir d'envoûtement exercé par la luxuriance, prodigieuse au sens premier, d'un imaginaire débridé ou par les méandres délicieusement délétères d'une fantaisie inventive, que dans l'aptitude à créer un univers, une (sur)réalité éminemment, voire strictement, textuels par les sortilèges non moins capiteux, les parasitages non moins angoissants, de l'écrit, contribuant ainsi à ce que l'on pourrait appeler une poétique lettrale" (32). C'est la performativité de la lettre fantastique qui se situe donc au centre de l'approche de Philippe Met; on la retrouve dans la pseudo-traduction comme dans le répertoire fantastique, mais aussi dans le registre poétique ou théorique. Attiré par la liminalité, voire les "terres limitrophes", le critique annonce d'emblée qu'il s'agira aussi de "considérer, à l'occasion, des textes dont le statut ou la teneur fantastique peut être tenu(e) pour problématique, indécidable, ou tangentiel(le) au genre" (34).




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Le premier chapitre, "Le miroir aux alouettes de la traduction: Prosper Mérimée", examine le rôle de la traduction comme moyen de métaphore pour le fantastique dans un canular littéraire peu étudié, La Guzla (1827). Ce chapitre inaugural permet de vérifier que les questions de la traduction et du fantastique se sont simultanément développées autour de ce texte en forme de leurre. ("Oui, la traduction n'est pas mal, mais qu'est-ce que vous diriez si vous connaissiez l'original!" – mot d'un Espagnol fictif à propos du Théâtre de Clara Gazul (1825), mis en circulation par Mérimée). Parodie, pastiche et mystification: La Guzla se présente comme une traduction de ballades "authentiques" illyriennes et de contes folkloriques, mais à une ou deux exceptions près, l'ensemble du recueil fut rédigé par Mérimée lui-même. Philippe Met contextualise le travail au sein de l'histoire littéraire du fantastique qui s'est forgée en France notamment par des traductions des contes d'E.T.A. Hoffmann et les romans gothiques anglais. Mais on est aussi confronté à un effet de traduction, puisque traduction-mystification et fantastique littéraire se rapprochent dans leur ambiguïté lorsque l'auteur cherche à tromper le lecteur en lui faisant croire quelque chose qui n'existe pas. Ainsi, Mérimée compose La Guzla selon la recette qu'il proclamera plus tard pour le fantastique: en accumulant le plus grand nombre possible de données réelles, l'auteur rend les inventions crédibles (59). La répétition – marque formelle propre à la littérature populaire – est une structure essentielle, voire matricielle, du recueil; translation, transmission et performance, La Guzla représenterait, sinon pas un retour "à l'original" du moins un retour "vers l'originel" (63). Dans la partie « Entre vécu et fiction: mauvais œil et vampirisme dans La Guzla", Philippe Met propose le néologisme "fantastiquème" (terme forgé sur le modèle du "biographème" barthésien), à savoir "quelque chose comme un trait minimal de fantastique, une unité atomique et donc insécable, ou un effet de surnature spécifique (ici, la portée supposée du mauvais œil), quintessencié ou réduit à sa plus simple expression" (68). En d'autres termes, le "fantastiquème" représente un élément minimal du genre, tels que le vampirisme ou le mauvais œil. Dans cette partie sur traduction (réelle et fictive, effet de miroir et ironie), vampirisme et mauvais œil, on reconnaît implicitement la théorie du désir mimétique développé par René Girard (1961), à savoir que tout désir est médiatisé. Dans le contexte de cette étude, le schéma triangulaire s'articule de la manière suivante: "Une fois encore se vérifie le rôle essentiel d'un tiers (le guide), qui en l'occurrence agit autant, sinon plus, en médiateur réglant un conflit qu'en interprète ou en passeur facilitant un processus de transposition entre deux codes, entre deux idéologies" (76). Philippe Met rapproche La Guzla, texte exemplaire pour toute son étude, à d'autres œuvres de Mérimée et, entre autres, à ceux de Mary Shelley qui signe dès 1829 un conte intitulé "The Evil Eye" où l'influence de Mérimée est patente. L'engouement marqué pour le vampirisme va si loin que la narration fantastique se présente elle-même comme une forme de vampirisation (79). Philippe Met parle dans ce contexte de "vampirisme de l'écriture, de la lecture et de l'expérience culturelle" se manifestant – chez Mérimée, mais il évoque aussi de nombreux autres exemples – par les notices sur le vampirisme, les effets de mise en abyme, de simulacre et de réflexivité de l'écriture. De tels textes ne cesseront de témoigner de ce que "mystification, traduction et fantastique participent fondamentalement d’un geste commun, engendrant un même effet de familière étrangeté, un même décentrement du langage, une même poétique de la lettre égarée et égarante…" (80)




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Dans le chapitre 2, "Le legs maudit des livres et des manuscrits: H. P. Lovecraft et Jean Ray", Philippe Met rapproche l'auteur culte américain et l'auteur belge. L'analyse du premier se concentre en grande partie sur son grimoire fictif, le Necronomicon, et son rôle dans L'Abomination de Dunwich, Dans l'abîme du temps et L'Affaire Charles Dexter, enfin sur les "traces écrites: interdit, legs et réécriture (du texte)" dans L'Appel de Cthulhu. Des références à la correspondance de Lovecraft et de nombreux renvois à des ouvrages critiques tel L'Écriture de l'excès de Denis Mellier (1999) permettent dès lors d'éclaircir l'effet de l'écriture de Lovecraft et son rapport singulier au langage. Pour Philippe Met, la source de l'horreur est, dans la majorité de ces textes, de nature linguistique: "faisant coïncider l'infiniment lointain ou autre et l'infiniment proche ou intime, l'horreur linguistique est […] au fondement et au couronnement" de ces récits (96). La partie sur Jean Ray, intitulée "le livre et ses fantômes", se concentre sur le motif du manuscrit trouvé dans le roman-phare de l'écrivain gantois, Malpertuis (1943), décrit comme l'un des exemples les plus audacieux et les plus originaux "dans le domaine de la littérature fantastique et, plus largement, de l'imaginaire…" (121) Il aborde également l'œuvre de Ray qui serait le pendant du Necronomicon, l'insaisissable Grimoire Stein qui figure en exergue de La Conjuration du lundi (1964) et qui joue un rôle déterminant dans des récits tels que Maison à vendre (dans le recueil de nouvelles Le Livre des fantômes, paru en 1947) ou dans le roman inachevé Saint-Judas-de-la-nuit (1964). Tout au long de cette partie, la relation entre lettralité et (livre) fantastique est située entre manque et excès (144–149), confrontation paradoxale représentant, chez Ray et chez Lovecraft, un trait caractéristique du fantastique.

Avec la partie 3, "La lettre morte et le dernier mot des journaux intimes fictifs: Maupassant et H. H. Ewers", on aborde l'analyse du journal intime fictif, qui représente peut-être le moment clé de cet ouvrage, ainsi qu'une contribution importante pour les études fantastiques. Dans un bref prélude, Philippe Met tente de définir ce mode narratif particulier dont les traits les plus évidents sont la narration à la première personne, un système de datation des entrées et l'organisation selon un schéma chronologique. Deux textes supplémentaires servent à poursuivre la spéculation: le Journal d'un fou (1835) de Nicolas Gogol et Journal d'un mort (1947) de Marcel Béalu, qui prennent tous deux à la lettre des projets autobiographiques tels que ceux de Rousseau ou de Chateaubriand. Bien que le journal intime fictif soit plutôt rare lorsqu'on le définit de manière relativement stricte, le critique considère ce genre comme étant au cœur du fantastique parce que le registre diaire se situe à la jonction de la routine et l'événement remarquable, ce qui implique une véritable "catharisis par l'écriture" et le rapproche du surnaturel ("Diaire et fantastique", 157–159).



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Plus encore: "Censément hors fiction, l'écriture diaire ne s'en trouve pas moins animée d'un mouvement d'oscillation entre, d'une part, la notation minutieuse, voire maniaque, de l'inexorable (et, par là même, rassurant) retour du quotidien, et, de l'autre, la focalisation immédiate sur l'imprévisible surgissement de l'événement incongru ou sui generis." (158) Suit l'analyse de quelques récits de Maupassant ("Le journal comme attente: répétition et non-retour, présence et absence, apparition et disparition"), dont un seul est un journal fictif réel (Un fou? de 1884), textes précurseurs du célèbre Horla (1886 et 1887, puisqu'il en existe deux versions). Le critique observe que Maupassant inverse la tendance habituelle du fantastique, où une intrusion inhabituelle au sein de la normalité de la vie quotidienne vient bouleverser la routine du protagoniste et, finalement, son système de croyance. Dans les récits précédant Le Horla comme Fou? (1882) ou Lui? (1883), on voit que, contrairement à ce que l'on pourrait attendre, c'est la cessation du phénomène bizarre qui perturbe le protagoniste puisqu'il s'y était habitué. Plutôt que de la compulsion de répétition généralement identifié avec l'étrange, Philippe Met voit ici une frustration de répétition, "à la manière d'un Double qui, n’exposant que son envers, refuserait de faire face ou se déroberait au tête-à-tête" (161). Une tendance similaire s'observe dans des récits allemands de Ewers tels que L'Araignée (1907), La Mamaloi (1907) ou La Mort du Baron Jésus Maria von Friedel (1908). Après une phase d’attente monotone intervient le phénomène potentiellement surnaturel inexpliqué, événement typiquement perturbateur qui apparaît ici toutefois comme une simple coïncidence autour de laquelle un nouveau rituel quotidien va se développer (202). C'est notamment dans cette partie que le lecteur francophone est introduit à un nouveau corpus autour de textes comme Die Spinne de Ewers, les lectures françaises ou anglo-américaines étant dès lors élargies par des textes où la "performance d’une impossibilité" (175) est fraîche, les comparaisons inédites.

"La lettre morte et le dernier mot des journaux intimes fictifs (bis)" – le chapitre 4 – poursuit l'examen du journal fictif en se concentrant sur l'opus de Blackwood et de Ghelderode. Envisageant L'Indiscret du britannique Blackwood (The Listener, 1907), Philippe Met observe comment, en plus de la mise en scène de la rencontre avec l'autre, le contact se produit. Il appuie son analyse de la contamination et de maladie dans le journal fictif en renvoyant au travail de Ghelderode, qui fit l'expérience d'une santé défectueuse au moment où il écrivait des contes recueillis dans Sortilèges, ensemble de douze contes composés en 1939–1940. L'essentiel de cette partie repose sur Le Jardin malade et L'écrivain public, deux nouvelles figurant dans ce recueil qui mettent en œuvre l'ambiguïté, chez Ghelderode, quant à la source du fantastique: "le diariste du Jardin malade n'est pas peu conscient de ses propres effets – à savoir ceux de la prose. Les arabesques baroques et les volutes fuligineuses du texte, ses observations turgescences et ses inquiétantes ramifications, sont dès lors peut-être moins les soubresauts d'une esthétique morbide prise au piège de ses débordements, à l'instar d'un corps malade agité de convulsions, que le charme vénéneux d'une écriture envoûtante – non plus uniquement délirante et assujettie, mais subtilement maîtrisée et largement concertée." (245) Profondément ancrée dans une écriture du quotidien et de la normalité, cette écriture suggère moins une éruption du fantastique dans la vie normale qu'une "pathologisation du réel, ou de sa transcription, qui n'est pas parfois sans affinités avec une certaine sensibilité fin de siècle" (248).




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La conclusion de ce riche parcours est relativement brève : "la lettre restante", tel l'intitulé, pose ainsi la question (rhétorique) s'il demeure, au bout du compte, "un reste de la lettre ou une lettre restante, soit encore un lieu à la fois de déposition et de destination, au sens, si l'on veut, où l'on parle de poste restante" (253). Si le trait le plus saisissant de l'écrit fantastique réside aux yeux de Philippe Met "dans ses propriétés délétères, voire mortifères, qu'un noli me legere implicite ou explicite ne fait qu'exacerber ou programmer en soumettant tout lectorat potentiel à une irrépressible tentation", c'est également ce que fait cet ouvrage critique qui évoque finalement des textes littéraires récents et leurs adaptations cinématographiques. La lettre tue – dans le sens du non-dit, voire de l'indicible – est bel et bien cette lettre restante, "lettre morte vivante, mot de la fin" (260). Au lecteur d'aller à sa découverte, de la retirer ou de la laisser en suspens. Ces Spectre(s) de l'écrit fantastique s'adressent – à l'instar du récit fantastique – à un lecteur actif, invité à développer le questionnement. En guise de conclusion, on ajoutera que cette réflexion originale sort des chemins battus et des présentations systématiques de la littérature fantastique. La complexité de La Lettre tue est essentiellement due au style de Philippe Met qui exige de ses lecteurs concentration et endurance: au cours des 250 pages, de nombreuses fenêtres s'ouvrent sur un riche panorama du genre fantastique, de l'auto-référentialité et du matériel intertextuel qui le nourrit. Et dans la juxtaposition de lectures, des écrivains célèbres comme Mérimée, Lovecraft et Blackwood, dialoguant avec des voix moins connues comme Ewers, Ray ou Gherlderode – des confrontations étonnantes qui intéresseront tout esprit comparatiste.

 


Références bibliographiques

Bellemin-Noël, Jean (1972): "Notes sur le fantastique (textes de Théophile Gautier)", Littérature n° 8 (décembre 1972), 3–23.

Girard, René (1961): Mensonge romantique et vérité romanesque. Paris: Grasset.

Mellier, Denni (1999): L'Écriture de l'excès. Fiction fantastique et poétique de la terreur. Paris: Champion.

Met, Philippe (1999): Formules de la poésie. Études sur Ponge, Char, Leiris et Du Bouchet. Paris: PUF.

Steinmetz, Jean-Luc (1997): La littérature fantastique. Paris: PUF.

Todorov, Tzvetan (1970, rééd. 1976): Introduction à la littérature fantastique. Paris: Seuil.