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Hélène Perdicoyianni-Paléologou (Boston)



Frédérique Biville et Daniel Vallat (Éd.) (2009) : Onomastique et intertextualité dans la littérature latine. Lyon. (= Collection de la Maison de l'Orient et de la Méditerranée, 41 : Série linguistique et philologique, 5)



L'onomastique est, depuis 1999, l'objet de recherche privilégié des chercheurs latinistes de l'Université Lumière-Lyon II, regroupés en 2003–2006 au sein de la Jeune Équipe Romanitas (J.E. 2409), désormais intégrée dans l'UMR 5189 du CNRS HiSoMA (Histoire et Sources des Mondes Antiques), rattachée à la fédération de recherche du CNRS et de l'Université Lumière II, Maison de l'Orient et de la Méditerranée.

Le présent volume collectif s'ouvre sur une présentation des activités de ces latinistes, une bibliographie de leurs travaux sur l'onomastique et une introduction.

Au sein de celle-ci, Daniel Vallat détermine l'objectif auquel vise la publication de ce recueil, issu de la journée d'études organisée à l'Université Lumière-Lyon II le 14 mars 2005. Après avoir fait valoir l'importance de croiser l'onomastique et l'intertextualité, l'éditeur présente un panorama historique qui met en lumière les deux étapes majeures des genres poétiques empruntés aux Grecs : la comédie (première moitié du second siècle avant notre ère) et la poésie classique (seconde moitié du premier siècle). Entièrement influencée par la culture grecque, l'onomastique latine est marquée par le bilinguisme et l'intertextualité. La substitution de la togata, un type de représentation théâtrale latine comique sur un thème et dans un cadre romaine, par la palliata, un genre de comédie latine ayant un sujet grec, est une preuve évidente du bilinguisme romain.

De plus, l'attestation de noms grecs fait preuve de l'influence qu'ont pu exercer Callimaque et les poètes alexandrins sur les poètes romains du premier siècle avant notre ère. L'onomastique grecque sert donc d'instrument pour la composition poétique latine.




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L'introduction fait aussi état de certains niveaux d'implications concernant l'étude de l'intertextualité onomastique. Vallat en distingue deux approches différentes : l'approche diachronique et l'approche générique. La première approche repose sur l'étude de l'emploi d'un nom non seulement chez deux auteurs différents mais aussi au sein de différentes œuvres d'un même auteur. La seconde approche fait ressortir, d'une part, la façon dont évolue l'onomastique d'un genre depuis les origines grecques jusqu'aux auteurs de l'époque tardo-antique et, d'autre part, le processus de la transgénérité. En effet, certaines œuvres révèlent un réseau fort complexe d'inspirations onomastiques, de l'épopée à l'épigramme en passant par le théâtre et la poésie lyrique et élégiaque de diverses époques.

L'accent est également mis sur les rapports complexes entre l'onomastique et le type littéraire. En effet, un seul nom peut faire allusion à plusieurs personnages ou encore montrer l'évolution d'un type. D'autre part, le type littéraire peut présenter plusieurs dénominations à des fins de uaratio au sein de la même œuvre ou d'un auteur à l'autre.

Enfin, l'onomastique sert à étudier la construction d'une figure historique ou fabuleuse. Elle permet de s'enfoncer dans l'imaginaire antique et de déceler ses traits culturels.

L'ouvrage comporte trois parties qui sont les suivantes : i) Approches transversales ; ii) Théâtre et poésie classique ; iii) Erudition tardo-antique.


La première partie est constituée par les études suivantes :

i) Frédérique Biville, «Onomastique et intertexualité», p. 25–41.

Après avoir montré la stabilité de la référence des noms propres et la relative stabilité de leur forme, l'auteur fait la distinction entre l'approche onomasiologique et l'approche sémasiologique. Cette double démarche lui permet, d'une part, de faire ressortir les signes linguistiques qui servent à dénommer l'individu dans le texte, et, d'autre part, d'esquisser l'histoire du nom propre dans ses modifications formelles et référentielles. Cela fait, l'auteur établit une échelle de l'intertextualité qui se limite au contexte immédiat, au cadre de l'œuvre et au cadre historique et littéraire. La façon dont les noms propres sont introduits et repris dans le discours met en valeur les différentes formes de l'intertextualité dont la complexité est manifeste par l'emploi de divers types de transferts formels et thématiques, mais qui font preuve de l'unité culturelle du monde greco-romain.




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ii) Daniel Vallat, «La métaphore onomastique de Plaute à Juvénal», p. 43–66.

L'auteur se propose de faire un bref aperçu sur l'histoire de l'emploi métaphorique du nom propre en littérature latine. Pour mener son travail à bien, il s'interroge sur les conditions de la diffusion de ce procédé référentiel d'un genre à l'autre, sur sa transmission et sur ses modifications. Cela l'amène à tracer les grandes lignes de son évolution et à révéler ses caractéristiques selon les époques, les genres et les registres.


La seconde partie comporte les contributions suivantes :

i) Matías López López, «Étymologies ouvertes chez Plaute», p. 69–77.

Après avoir défini la notion de ratio comme «le rapport que les étymologies des noms propres des personnages entretiennent avec les fonctions qu'ils exercent sur scène» (p. 69), l'auteur révèle la combinaison de modalités différentes d'interpretatio nominis chez Plaute. Il en distingue cinq fonctions : a) l'interpretatio nominis «proprement dite», à travers laquelle Plaute confie la compréhension d'un nom propre «à une glose explicative d'une structure et d'une extension variables» (p. 70); b) l'interpretatio nominis au moyen d'une «ratio fermée» qui illustre explicitement l'étymologie du nom propre par des vers qui mettent en valeur une signification préalable ; c) l'interpretatio nominis au moyen d'une «ratio ouverte» qui est destinée à combiner les différents niveaux d'explication du nom propre ; d) l'interpretatio nominis au moyen d'une «ratio implicite» qui permet aux spectateurs de déceler la signification de certains noms propres au moyen des rôles joués par les personnages qui les portent ; e) l'interpretatio nominis «par antiphrase», à travers laquelle Plaute s'adresse à l'imagination des spectateurs de telle sorte que l'étymologie du nom propre contraste avec le texte et le rôle scénique du personnage.

L'usage de ces fonctions de ratio est la preuve manifeste de la supérieure qualité artistique de Plaute, celle de l'expérimentalisme.

ii) Jean-Christophe Jolivet, «Questions d'onomastique homérique dans la poésie augustienne», p. 79–93.

En prenant comme point d'appui les traces des recherches sur l'onomastique homérique dans la poésie augustéenne, l'A. cherche à révéler les perspectives dans lesquelles les noms tus par Homère ont été utilisés en Italie. Cette démarche élucide la complexité des allusions philologiques à travers l'opération de nomination, l'existence d'une technique de signalisation et l'intérêt que les poètes augustéens portaient à l'étymologie. L'élaboration de ces questions d'onomastique fait dégager les aspects de correction de la tradition homérique et la formation d'une intertextualité d'un type nouveau, qui joue avec le texte source et son commentaire à la fois.




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iii) Emmanuel Plantade, «Heu... Theseu! Le nom propre et son double (Catulle 64, 50–250 et Ovide Her. 10)», p. 95–107.

Cet article traite de la notoriété du nom propre Thésée et sa place dans la relation intertextuelle entre le poème 64 de Catulle et l'Héroide 10 d'Ovide. L'accent est mis sur les procédés d'insertion du nom propre qui font ressortir l'enjeu intertextuel qui entoure ce mot.

A cela fait suite le rapprochement contrastif de l'emploi du nom propre Theseus dans les deux passages qui est fondé sur la sélection de ses formes casuelles et sur le lien entre la place du nom dans le vers et son apport poétique. Chez Catulle la diversité des formes casuelles du nom propre couvre partiellement le lien qui relie les formes Theseus/Theseu mises au compte de la voix du narrateur à leurs symétriques exprimées par Ariane. Ce système signifiant exprime une complicité profonde entre les deux voix. Par contre, dans l'Héroide 10, Ovide n'a gardé que le vocatif, qui évoque la paranomase par une motivation intertextuelle en devenant ainsi la forme maîtresse, et l'accusatif, qui est employée comme une forme d'arrière-plan, placée dans le pentamètre. De plus, le déplacement constant du vocatif dans le vers amène le poète à faire ressortir le rôle déterminant que joue la position du nom propre dans l'organisation rhétorique du discours d'Ariadne et dans l'expression de l'affectivité de la voix.

iv) Christian Nicolas, «La signature masquée du poète des Héroïdes», p. 109–120.

L'article est consacré à la lecture sinistroverse et la lecture dextroverse, procédé cryptologique employé par Ovide afin d'inscrire son nom dans le poème des Héroides. Par ce jeu métapoétique, appellé «signature à défaut» (p. 115), l'auteur fait ressortir la présence subtile du nom du poète dans les jeux d'intertextualité.

v) Olivier Thévenaz, «Auctoris nomina Sapphus : noms et création d'une persona littéraire dans l'Héroïde XV ovidienne», p. 121–142.

L'auteur se propose d'éclaircir la question disputée de l'authenticité de la lettre de Sappho à Phaon qui fait partie des lettres d'amour fictives ovidiennes. Dans un premier temps, il montre que les noms propres qui sont directement repris à l'œuvre de Sappho sont destinés à authentifier sa persona biographique. Ensuite, il révèle que ces reprises sont en rapport avec des phénomènes d'intertextualité jouant sur les tensions entre la continuité établie par le style élégiaque de Sappho et son arrière-plan archaïque et la rupture que témoigne son discours contemporain. Enfin, il soutient que la reprise du nom de Sappho servant de signature poétique et accompagné d'un jeu sur les indications d'origine géographique laisse entendre que la persona auctoriale dans cette lettre épistolaire n'est pas celle de Sappho de Lesbos.




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vi) Daniel Vallat, «L'onomastique du genre bucolique», p. 143–162.

L'auteur fait l'esquisse de l'onomastique au sein du genre bucolique en en distinguant deux étapes : i) l'acculturation de l'onomastique à Rome qui a pour début l'imitation que Virgile a fait de Théocrite tout en apportant des modifications profondes à ce genre; ii) la bucolique post-virgilienne. Ce parcours de l'histoire de l'onomastique met en valeur, d'une part, son balancement entre tradition et renouvelement et, d'autre part, sa cohérence.


La troisième partie comprend les études suivantes :

i) Michèle Béhuis-Vallat, «Servius, interpres nominum Vergilianorum (ad Aen. 1)», p. 165–193.

A partir des scolies de Servius sur l'Énéide, l'auteur cherche à déceler, dans un premier temps, les variations onomastiques auxquelles Virgile s'est livré, en en distinguant deux formes : les redénominations et les transferts métonymiques. Dans un second temps, elle met en lumière l'intérêt du scholiaste pour la signification étymologique des toponymes, des anthroponymes et des ethnonymes virgiliens. Enfin, par l'élucidation de la valeur de divers adjectifs propriaux, leur signification et de l'ambigüité de l'onomastique, elle éclaircit les interprétations personnelles du grammairien dans les domaines axiologique, idéologique et référentiel.

ii) Marie-Karine Lhommé, «De Mutinus Titinus à Priape ou la métamorphose d'un dieu mineur», p. 195–220.

Mutinus Titinus est le nom d'un dieu qui est mentionné dans les Antiquités divines de Varron et dans le De uerborum significatione de Verrius Flaccus. Dans ce travail, l'auteur fait l'esquisse sobre et précise des textes des quatre auteurs chrétiens, Tertullien, Lactance, Arnobe et Augustin, qui ont retenu de la liste des di nuptiales qu'a dressée Varron le nom de Mutinus Titinus 'à cause du caractère obscène et donc infamant de la coutume paienne liée à ce dieu' (p. 196). Ensuite, elle traite des éditions du texte de Verrius Flaccus qui aborde la disparition du sanctuaire du dieu. Enfin, par l'examen de l'étymologie des deux noms du dieu, elle tente de faire comprendre à la fois les reconstructions modernes des éditeurs, tels Lindsay, Moscadi, Müller et Palmer, et celles des anciens.




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L'ouvrage se clôt sur un index des auteurs et textes cités (p. 223–230), un index latin des noms propres littéraires (p. 231–234) et les listes des contributeurs (p. 235).

En conclusion, nous saurons gré aux linguistes de l'équipe de Romanitas qui par leurs contributions ont réussi à envisager l'onomastique dans la perspective de l'intertextualité et partant à la présenter dans une dimension, comparative et évolutive. Cette nouvelle voie les a amenés à explorer le statut historique ou fictif des personnages dénommés, l'origine linguistique des noms propres et leur évolution dans les œuvres d'un même auteur, dans celles de différents auteurs au sein d'un même genre littéraire, ou encore d'un genre à l'autre, et, enfin, les enjeux de l'onomastique en termes d'axiologie, d'engagement idéologique et d'interprétation sémantique.