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Frank Jablonka (Beauvais)


Styles sociaux communicatifs et alternance codique dans le raï. Passages transculturels1



Communicative social styles and code switching in Raï. Transcultural passages
The approach of "communicative social styles" in urban sociolinguistics has turned out to be fruitful in analyzing the language choice of multilingual subjects, in order to identify their attitudes towards languages, groups of speakers and cultures in contact, including the relations between migrants’ homelands and the host country in urban or suburban quarters. One major interest is the investigation of code switching phenomena in both everyday’s communication and aesthetic cultural productions. These phenomena show strategies related to the affirmation of interstitial identities.
In this paper, we try to apply this approach to the analysis of algerian, moroccan and french raï productions by Rachid Taha, Faudel, Cheb Mami and Cheb Rezki. The plurilingual stylistic procedures reflect and articulate a culture caracterized by transition and passage. In these processes, between the Maghreb region and France, or larger between the modernizing arabo-islamic Orient and the (post)modern Western civilization, a linking role seems to be assigned to migrant groups. That is why we are interested in the transcultural dimensions of this problem complex.


0 Introduction

Le présent travail s'inscrit dans la tradition de la linguistique romane de contact et a pour but d'approfondir des recherches qui ont été consacrées avec des méthodes empiriques, et dans des perspectives de la linguistique variationniste, aux contacts linguistiques franco-arabes (cf. par ex. Jablonka 2007a, b, c). Nous avons effectué une enquête sociolinguistique dans des quartiers populaires dans l’agglomération de Rabat-Salé qui vise la variation de l’arabe, et notamment du français, auprès de la jeune population scolarisée. Le présent contexte de production culturelle destinée au marché s’entend comme complément à ce cas de figure. L’analyse exige, en plus de l’arabe et du français, la prise en compte de quelques éléments de l'espagnol et de l'anglais, ce dernier s'imposant progressivement en qualité de lingua franca dans la situation de contact postcoloniale dans le monde arabe (cf. Ibrahim 2000), même si l’impact de l’anglais dans les pays du Maghreb reste, pour l’instant, limité aux happy few, sans concurrencer sérieusement le français hors communication spécialisée.

L'objet de notre recherche nécessite de plus un regard particulier relatif aux aspects culturels; la linguistique de contact se verra ainsi intégrée dans une approche de socio-sémiotique du contact culturel. Dans le changement de paradigme2 envisagé nous nous orienterons plus particulièrement par rapport à l'approche du "style social communicatif" (cf. section 2). Dans le cas du raï, celui-ci est constitué par le métissage3 de nombreuses formes de "marques transcodiques" (Lüdi 1996: 322), notamment par l'alternance codique. Etant donné l'importance du code switching dans le vécu quotidien des contacts franco-arabes ici et là-bas, ce constat n'est certes guère étonnant. Pourtant, c’est seulement le chanteur algérien Cheb Hasni, malheureusement devenu victime de la fureur intégriste des années 90, qui introduisit la technique du switching franco-arabe dans ce style musical initialement monolingue arabe. Mais il ne s’agit là, en fait, que d’un alignement pour les productions culturelles destinées au marché, sur les pratiques et attentes socioculturelles et sociolinguistiques générales. Selon Dominique Caubet (2002: 119), l'alternance codique est le mode non marqué du comportement communicationnel: ce n'est pas l’occurrence, mais l’omission de ce phénomène qui nécessite explication. En réalité, si les locuteurs maghrébins ne switchent normalement qu’entre l'arabe dialectal et le français (cf. par ex. Charnet 1999), l'alternance d'autres langues et variétés apparaissant dans le raï ne semble pas être couverte par l'habitus communicationnel et doit être discutée dans le cadre du présent travail.




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1 Le raï comme programme transgressif: inauguration de codes par transgression de codes

La dénomination de raï, ر ا ي  en arabe, représente un style musical populaire qui, venu d’Algérie, fait fureur, depuis les années 80 du siècle dernier, d'abord et surtout dans les quartiers de la banlieue parisienne, mais progressivement aussi dans les quartiers périphériques d'autres grandes villes françaises. Cette dénomination est extrêmement polysémique: Dérivée de la racine arabe R‘Y 'voir', elle a le sens de 'opinion, avis (aussi au sens de doxa, vox populi), point de vue, idée, jugement, décision' (cf. Tenaille 2002: 12; Virolle 1995: 24). Le noyau sémantique de toutes ces significations est la notion de libre arbitre, ce qui implique l'idée de points de vues qui ne sont pas couverts par la grille des codes sociaux en vigueur – d'où la valeur transgressive, de l'"effervescence" dionysiaque (Maffesoli 1985: 59), issue de l'humus du patrimoine culturel local. En effet, le raï plonge ses racines dans le patrimoine culturel autochtone du Maghreb, retraçables jusqu'aux années 30 du 20ème siècle. Le foyer d’irradiation culturelle a eu pour épicentre l’Oranie, Oran restant encore aujourd’hui la capitale du raï; ce n’est pas par hasard que Khaled a dédié à cette ville le morceau waħran waħran. Les précurseurs du raï sont ancrés dans la musique populaire du Maghreb dite châbi, signifiant précisément "populaire"; et en effet, ce style, qui est resté essentiellement monolingue arabe, est toujours très populaire, précisément, et l’emporte, surtout au Maroc, largement sur le raï. Les premiers "cheikhs", comme on appelait à l'époque les chanteurs du raï, s'articulaient exclusivement dans leurs dialectes arabes. Cela changea avec l'essor du raï, conjointement avec la déterritorialisation du raï en situation post-/néocoloniale, auprès de la jeune génération: dorénavant, les jeunes chanteurs sont appelés cheb ('jeune homme', 'gars'), et c'est à ceux-ci que les anciens "cheikhs" cèdent leur place.

1.1 Dans le style social du raï se reflète une forme de vie urbaine; cependant, ce reflet subit des réfractions. Le raï a toujours été exposé aux mélanges dans les faubourgs populaires, d'abord en Algérie, et surtout à Oran. En effet, le point de départ est le vécu de la jeune génération qui exprime son malaise dans le syndrome conflictuel entre modernisation et tradition, entre attraction occidentale et solidarité avec les valeurs islamiques. Suite à l'extension du mouvement raï au-delà de l'Algérie, des métropoles d'autres pays sont devenues des centres du raï, notamment au Maroc Casablanca et Oujda, et, bien sûr, la région parisienne. Cette forme expressive musicale et langagière représente un prisme postcolonial par lequel transparaît une diversité pluriculturelle contradictoire, un plurilinguisme "fractal".

1.2 Pour l'Algérie postcoloniale, mais aussi pour le Maroc, et, par analogie et a fortiori, en raison de l'exportation en France, on peut constater une situation de tension hybride, un tiraillement entre deux alternatives qui semblent s'exclure mutuellement dans leur complémentarité. C'est pour cette raison que nous évoquons dans le titre du présent article la notion de "passage": en effet, au niveau langagier et généralement symbolique, le raï reflète la transition socioculturelle globale de la société traditionnelle à une forme de société moderne, voire postmoderne, dans un contexte (post-/néo)colonial. Le résultat porte le caractère d'une hybridité postcoloniale amplifiée par l'exportation vers les métropoles européennes, car la réfraction est doublée, du fait de la déterritorialisation non seulement de l'arabe, mais aussi de la reterritorialisation des variétés de contact maghrébines du français vers la France, ceci en synergie musicale grâce à l'adaptation renforcée d'éléments du rap.4 Il s'agit de ce que Calvet (1994: 27−30), en discutant des formes de culture et de communication urbaines émergentes, appelle des phénomènes "interstitiels", adaptant ainsi un terme central proposé par l'Ecole de Chicago: ce terme, réservé initialement aux évolutions d'ordre géographique, puis historique, désigne désormais des processus de transitions symboliques au sein d'un cadre socioculturel global.

1.3 Si nous parlons de plurilinguisme, et non pas seulement de bilinguisme (arabe et français avec leurs relatives variétés), c'est en raison de la présence de l'espagnol5 et de l'anglais. La présence de l'espagnol est due à de nombreux facteurs historiques, notamment l'influence des pieds-noirs en Algérie qui comportaient traditionnellement une présence considérable d'éléments ibériques, ainsi que l'occupation du nord marocain au titre de "Protectorat" espagnol jusqu'en 1956. Les deux enclaves espagnoles sur le territoire nord-africain Sebta/Ceuta6 et Melille/Melilla témoignent encore de cette époque. La proximité géographique de l'Espagne et l'émission télévisée régulière des informations en espagnol sont d'autres facteurs de la présence de l'espagnol sur la côte méditerranéenne du Maroc; cette présence espagnole représente, dans certaines conditions, une concurrence sérieuse du français. Ainsi, l'élément espagnol est aussi à caractériser comme marqueur identitaire maghrébin (et par extension méditerranéen), apte à se démarquer de la zone d'influence culturelle francophone, notamment parisienne, connotée avec le nord (et donc à marquer l'indépendance culturelle et politique vis-à-vis de la France). Cela n'exclut aucunement un clin d'œil vers l'Europe (en l'occurrence: du sud): L'option identitaire de renouer culturellement avec un passé caractérisé par l'ensemble sud-européen et méditerranéen reste ainsi ouverte. Nous apercevons ici une polarité, en même temps qu’une hésitation, entre la rupture volontaire avec les traditions et la réintroduction de celles temporellement rejetées. On trouve des structures polaires comme celle-ci, qui fonctionnent selon le principe de la coincidentia oppositorum, dans le raï à différents niveaux. Cette polarité fondamentale mériterait des recherches plus approfondies; il semblerait, en effet, que cette structure participe d'une constante basique d'un schéma ethnoculturel maghrébin (cf. Jablonka 2005: 198s.).7 Par rapport au raï, nous suivons Virolle (1995: 10):




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Le Raï permet à ses adeptes de ne guère se positionner dans un choix où les termes s‘excluraient les uns les autres, mais bien de pouvoir faire co-exister des aspirations en apparence contradictoires. […] exprimer des résistances parallèlement à sa tendance à montrer un certain conformisme paradoxal […]

1.4 Contrairement à l'espagnol, l'anglais est doté de la fonction de code véhiculaire de la modernité du type occidental; il apparaît que le Maghreb aspire à participer à sa façon aux bénéfices de celle-ci, d'où, dans le Maghreb, le prestige de l'anglais comme langue de la mondialisation.8 On ne s'étonnera donc pas de la publicité sur de nombreuses pochettes qui informe, par exemple, que Cheb Mami, chanteur de raï algérien bien connu, a enregistré ses CDs aux Etats-Unis, en partie avec Sting, la rock-star britannique. La fonction instrumentale de l'anglais prend de plus en plus d'ampleur au Maghreb, sans que l'importance du français comme langue seconde, voire "première langue étrangère", soit pour autant menacée.

1.5 Cependant, le rôle de l'anglais est tout-à-fait ambivalent. L'anglais apparaît d'une part comme langue "glottophage" (Calvet 1988) par excellence et semble représenter, de ce fait, une menace pour des identités culturelles établies. D'autre part, l'intégration dans des codes existants contribue à l'enrichissement identitaire, c'est-à-dire à l'élargissement de codes culturels locaux ou régionaux grâce à la (ré-)intégration du global au sens d'une "glocalisation" postmoderne. Homi Bhaba (2004: 252) parle dans ce sens d'une "postcolonial contramodernity": "subaltern history of the margins of modernity […] to rename the postmodern from the position of the postcolonial." Le caractère de "pro-domo-globalisation" de ce processus, symbolisé et en même temps inauguré et véhiculé par l'anglais, transparaît par les nombreuses marques transcodiques dans les paroles anglaises. Celles-ci sont en partie tellement importantes sur le plan phonétique que la compréhensibilité en est considérablement réduite. Ceci est le cas des éléments anglais du morceau "Indie (1+1+1 …)" (cf. 3.2−3.2.2). On notera également des écarts syntaxiques par rapport au système de l’anglais standard, par exemple dans la chanson "Voilà, voilà" de Rachid Taha: "everywhere, even in lovely‘s France" (contrairement à l'arabe standard, l'anglais ne connaît, bien sûr, pas le marquage du cas indirect respectivement génitif de toponymes pour exprimer la notion de locatif); de même dans "Indie (1+1+1 …)": "come on, let‘s making love" (la formule de l'impératif de la 1ère personne du pluriel est en anglais "let‘s + infinitif", et non pas, comme dans la chanson, "let‘s + continuous form)".

1.6 Cette fonction biface de l'anglais, qui est aussi, dans une moindre mesure, propre au français, fait apparaître le paradoxe auquel est soumise toute tentative de résister à la mondialisation occidentale, voire d'ériger une contre-modernité. Dans la configuration actuelle du pouvoir propre au "nouvel ordre mondial", que Hardt/Negri (2000) appellent "Empire" et qui ne connaît plus d'extérieur ni d'échappatoire, le terrain de toute opposition se situe à l'intérieur de l'"Empire".




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Il s’est avéré, en effet, que ce "concept" – car il s’agit bien d’un "concept", comme le précisent les auteurs, et non pas d’une notion historique (Hardt/Negri 2000: 19) – représente la clé de ce que nous avons appelé ci-dessus (cf. "Introduction") "socio-sémiotique du contact culturel":

Le concept d’Empire n’a pas de limites. […] le concept d’Empire pose en principe un régime qui englobe la totalité de l’espace ou qui dirige effectivement le monde "civilisé" dans son entier. Aucune frontière ne borne son règne. (Hardt/Negri 2000: 19)

Non seulement cette forme de domination postmoderne totalisante, placée sous le leadership des Etats-Unis, dépasse de loin et pénètre en profondeur les Etats-nations. Il inclut aussi les pays et régions tant dominants que dominés, les ex-colonies au même titre que les anciens colonisateurs, en l’occurrence le Maghreb avec les métropoles occidentales, en premier lieu la France, certes, mais sans exclusivité. Dans la logique de cette structure oppositive qui est nécessairement inclusive, les conséquences sociolinguistiques sont de taille. Car du point de vue des dominés, ce paradoxe explique la nécessité de retourner les codes hégémoniques de l'Empire, notamment l'anglais (dans une perspective plus subalterne le français aussi) comme outils du combat contre l'Empire lui-même. Ces codes, en revanche, se prêtent seulement à cet usage subversif s'ils ont déjà été recodés, ou si le recodage est en cours. En effet, Volochinov (= Bakhtine 1977: 44) propose de considérer le signe comme "l'arène où se déroule la lutte des classes", ce qui est ici observable dans un contexte post-/néocolonial, y compris le "contre-coup" de la migration des régions du sud vers les pays industrialisés du nord. L'ensemble social, avec ses intérêts et tendances divergentes, reflété dans le signe linguistique, ou respectivement dans le symbole, connaît des réfractions, d'où un tiraillement tout à fait caractéristique. Maalouf (1998: 145ss.) a, lui aussi, identifié cette problématique; cependant, il est d'accord avec Hardt et Negri que de nouvelles marges de liberté s'ouvrent aux cultures subalternes dans les nouvelles conditions du pouvoir; ces marges de liberté pourraient être utilisées dans le combat pour l'autonomie, à condition de savoir tirer du profit de la création de nouveaux codes et entités hybrides, par lesquels l'autre s'intègre dans le même et le même se projette sur l'autre. Les orientations puristes et monolithiques, au contraire, seraient a priori condamnées à s'empêtrer dans des "identités meurtrières" (Maalouf 1998) sans issue. Il est ainsi établi que les armes croisées dans la dite "arène" sont les codes, et ceci tout particulièrement dans le crossing (Rampton 1995). Les outils symboliques sont ainsi transformés au cours du "combat" lui-même. A cette reprogrammation des codes, et donc à la "transvaluation" nietzschéenne des valeurs socioculturelles in actu, correspond ce que Erfurt (2003: 5s.) discute sous le titre d'"hybridité" comme phénomène urbain: transgression de frontières langagières et dialectales; les démarcations entre variétés linguistiques sont déplacées ou remises en question; suite au contact, le répertoire langagier est modifié, y compris sous le contact avec d'autres formes de pratique culturelle. Le raï est un cas particulier de cette classe de phénomènes.9.

1.7 Il ne fait aucun doute que du point de vue de certains partisans islamiques qui essaient de mener le discours d'un contre-projet de modernité, la figure de proue symbolique est l'arabe. Toutefois, on cherchera en vain dans le raï des amorces d'une sorte d'"Intifada" poético-langagière et musicale,10 qui jouent en revanche un rôle non négligeable dans les productions de certains groupes multiculturels du hip-hop. Le vécu et l'esprit du raï avec lequel le style social est associé ne sont en règle générale pas motivés par la propagande politique,11 mais par la transgressivité individuelle ou mise en œuvre au sein du groupe de pairs, transgressivité qui a pour but et pour fonction de déjouer les dispositifs répressifs dominants et de donner libre voie expressive et cathartique du désespoir et de la frustration tendanciellement collective de toute une génération. L'objectif est de s'assurer – malgré tout – quelques bénéfices de la société de consommation, soit-elle émergente ou anticipée, voire fantasmée. Ainsi, Virolle (1995: 9) parle à juste titre de l'individu "aux prises avec l‘existentiel", du




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lamento de l‘être souffrant et désirant, en butte à un destin social qui l‘écrase, pris aux mailles serrées de codes ou de situations qui le contraignent ou le rejettent vers certaines formes de marginalité.

Pour cette raison, la transgression de normes dans le raï a le statut de programme et représente une composante centrale du style social propre du raï. C’est en déjouant subversivement la régularité normative de variétés linguistiques standard, et ainsi en rejetant symboliquement l'adaptation à des règles sociales considérées comme répressives, que se déclenchent la genèse et l'évolution sociostylistiques du raï. Ce terme de style social communicatif nécessite une explication approfondie.


2 Le concept de style social communicatif12

2.1 Le point de départ de cette approche est une idée centrale de l'ethnographie de la communication: les groupes sociaux développent des styles sociaux comme réaction aux problèmes pressants de la vie sociale (cf. Kallmeyer/Keim 2003: 35). En nous référant à la sociolinguistique américaine (cf. notamment Gumperz 1989a, 1989b) dont le terrain privilégié est de type (sub)urbain, les marques stylistiques peuvent être considérées comme des indices de contextualisation qui donnent des instructions par rapport au cadre ("frame") métacommunicationnel pour l'attribution du sens aux énoncés. L'un des enjeux fondamentaux dans cette interaction est la régulation de l'aspect relationnel entre l'énonciateur et le destinataire, ce qui inclut le positionnement et la "gestion de la face" (facing), ainsi que des attributions et revendications identitaires de la part de l'énonciateur en situation dans l'espace social. Cette conception tient tout-à-fait compte des procédés de communication ludiques et généralement poétiques13 (cf. Erfurt 2003: 27). En raison de leur potentiel fondateur du sens social, la contribution de ces procédés à la définition et à la cohésion de mondes sociaux est décisive; en même temps, ils représentent le cadre référentiel de styles sociaux communicatifs. Les styles sociaux communicatifs sont organiquement imbriqués avec des formes de vie sociales – Keim/Schütte (2002: 10) parlent de "mondes vécus" (Lebenswelten) – respectivement culturelles. Ainsi, les styles sociaux sont la base pragmatique et cognitive de l'agir et du comportement, spontanés et routinisés, obéissant intuitivement aux règles en vigueur au sein d'un groupe social déterminé.

2.2 Ce qui nous intéresse dans le présent contexte, ce sont les fonctions des styles sociaux communicatifs au sein de subcultures et dans des milieux sociaux marginalisés, ainsi que dans le contact et dans l'interaction avec les instances des discours dominants à l'intérieur de l'"écologie" socioculturelle. Nous rappelons en outre l'aspect de la compétence par rapport aux styles sociaux sur lequel insiste surtout Kallmeyer (1996: 455). Les multiples savoirs qu'il convient d'acquérir, de conserver, de développer et de mettre efficacement en œuvre sont des ressources de "capital symbolique" (Bourdieu 2001). Les implications décisives pour le raï dans la situation historique actuelle seront traitées dans le paragraphe 3.3.3.

2.3 Le développement de styles sociaux communicatifs est étroitement lié aux dimensions pragmatiques et interactionnelles du contact linguistique et culturel; un "élément particulièrement pertinent" (Kallmeyer 1996: 455) de celles-ci est l'alternance codique dont les occurrences foisonnent dans les paroles du raï. Ces phénomènes feront l'objet d'analyses approfondies notamment dans la 4ème section de cet article. Ce constat ne réclame cependant aucune exclusivité, car les énoncés "sans style" n'existent pas. Toute la panoplie de marques transcodiques contribue à la genèse et à la reproduction de styles sociaux communicatifs; pour satisfaire les exigences d'un maximum de précision, il faudrait, en principe, aller au-delà des codes purement linguistiques et prendre en considération la totalité du répertoire d'expression symbolique.




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3 L'arabe standard avec l'anglais dans le raï franco-maghrébin: entre la tradition arabo-islamique et la modernité

3.1 Si nous parlons de variétés arabes au pluriel, il ne faut pas oublier que celles qui apparaissent dans le raï sont principalement les dialectes arabes (surtout algériens, dans une moindre mesure aussi marocains), ce qui n'est guère étonnant, vu l'enracinement social de ce style musical dans les milieux populaires. Il existe cependant aussi une minorité de morceaux de raï, non moins intéressants pour autant, qui s'articulent en partie en arabe standard (foṣħa). Ce choix établit un rapport symbolique avec le monde arabe dans son ensemble et plus spécialement avec le lien étroit que celui-ci entretient avec la communauté islamique (oumma). L'arabe standard, qui apparaît de façon privilégiée dans des tournures à caractère de formule ritualisée,14 joue en qualité d'"allié" de l'arabe dialectal un rôle de composante dans la constitution identitaire, injectée dans des productions de la culture populaire. Ceci est le cas du morceau "Tellement n‘brick" de Faudel (ligne 17): La première partie de la chahada (le crédo islamique), qui apparaît évidemment en arabe classique, est intégrée comme switch dans un cotexte arabe dialectal. Ce procédé sociostylistique permet au chanteur de se positionner avec son comportement contrafactuellement à un niveau compatible avec le sens commun, et de faire évoluer l'ordre moral lié à celui-ci. La citation en arabe classique est tout-à-fait arbitraire, faute de valeur dénotative: Ce qui compte est l'effet métacommunicatif de signal qui a pour but d'établir symboliquement la référence aux traditions en vigueur dans le monde arabo-islamique. Le principe du fonctionnement sémiotique est ainsi comparable à celui de l'anglais (cf. 4.1).

3.2 Le morceau "Indie (1+1+1)" de Rachid Taha est à cet égard exceptionnel, du fait de l'absence totale d'éléments d'arabe dialectal: la langue arabe est exclusivement représentée par le standard (foṣħa). C'est précisément pour cette raison, en revanche, que ce morceau se prête comme cas paradigmatique et introductif de la discussion qui nous intéresse ici. De plus, ce morceau ouvre quelques perspectives sociolinguistiques sur l'alternance entre l'arabe, l'anglais (chanté par une voix féminine) et le français. C'est pourquoi nous avons choisi de citer intégralement la première strophe, avec la traduction française des passages arabes (cf. annexe).15

3.2.1 Dans ce morceau, le code-switching remplit une fonction subversive. Cette subversion est véhiculée par la juxtaposition et l'alternance de l'arabe standard avec l'anglais (et dans une moindre mesure aussi avec le français), tout en maintenant en surface le même discours, c'est-à-dire celui du vin (angl. wine, arab. xamra).16 Selon Virolle, il semble s'agir d'un "branchement" (Amselle 2001) de la symbolique occidentale sur l'arabe:

Reconcilier passé et présent, occidentalité et algérianité, culte de la marge et reconnaissance sociale, islam et interdits; c’est sans doute cette quête d’identité plurielle qui attire massivement la jeunesse vers le Raï dans les années 80: hāda raykūm (C’est votre choix/faute/raï) chante Khaled, un texte sur la contradiction où sont évoqués tous les désirs et leur contraire. (Virolle 1995: 65)

Dans le cas présent, le "branchement" est réalisé dans l'alternance codique sous forme de juxtaposition paratactique d'éléments discursifs analogues, et ceci dans le mode logique de la conjonction, et aussi, dans une certaine mesure, comme écho. Cependant, les éléments qui se "branchent", et ceux sur lesquels les premiers sont "branchés" sont chargés de connotations culturelles totalement divergentes. Si la consommation de l'alcool est vivement déconseillée dans la doxa islamique (sourate 2,219 – sans pour autant être condamnée sans appel), il existe dans l'islam des tendances hétérodoxes qui se servent de l'alcool pour déclencher une extase mystique (cf. Chebel 2004). Certaines tendances de la mystique islamique voient dans l'ivresse l'émanation de l'amour et de la bénédiction de Dieu (baraka). L'ivresse induite par la consommation excessive du vin est rapprochée par voie métaphorique de l'ivresse divine.17 En effet, le morceau fait dans la partie finale allusion à ce lien par la relation paradigmatique entre wine et love: "Give me some love / Tell me it‘s love" (par opposition aux ligne 16−17). Manifestement, au vin – et par analogie aussi à l'amour – revient une fonction de connaissance transcendantale qui, immanentisée, complète la science et la philosophie, voire leur est presque supérieure (cf. ligne 3). Dans la métaphorique soufie, le raisin s'essentialise seulement par la fermentation alcoolique: le salut de l'âme ne se réalise, certes, pas ici-bas, mais seulement dans l'au-delà. Mais ainsi, la consommation du vin, encouragée dans certaines sourates peu citées et historiquement antérieures à la deuxième sourate (16,67; 83,25−28; 47,15), est réhabilitée par des contre-courants au sein même de l'islam. Par ricochet, le salut est ainsi réintroduit dans l'ici-bas.




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3.2.2 Cet aspect paradoxal de l'immanence du salut est la base culturelle et symbolique de l'influence de la religion comme élément diachronique qui apparaît au niveau synchronique. Le système médiatisé que le raï représente se sert de la tradition islamique comme source de la production de sens; ce système médiatique utilise des constructions culturelles synergétiques qui sont disponibles dans le réservoir symbolique que constitue l'imaginaire collectif, plus spécialement dans le langage, ainsi que dans les traditions populaires et dans l'art (y compris poésie et musique). En même temps, il existe dans le raï une structure de sens polaire tout-à-fait récurrente: l'évocation du religieux sert à consacrer et intégrer la transgression. Le code-switching vers les langues standard occidentales modernes, notamment vers l'anglais, trivialise, voire profanise, détourne la référence au vin, a priori religieuse, vers une orientation consumériste du type occidental. La violation des tabous ne peut être opérée que dans les langues standard associées à la (post-)modernité occidentale, qui effectuent en même temps le recodage et l'élargissement des codes sacrés. Ce processus de reprogrammation est, par ailleurs, représenté dans les paroles anglaises par l'allusion à la culture occidentale du divertissement dans la deuxième strophe et associé explicitement à l'extase de l'amour physique, non sublimé cette fois-ci ("Come on, let‘s making love"). C'est dans cette structure polaire du sacré et du profane que s'articule l'aspiration à témoigner (et, en conséquence, à légitimer) un changement social déclenché par l'irruption massive de schémas comportementaux "dissidents" selon le modèle occidental dans une société islamique où le poids des codes traditionnels reste écrasant.

3.2.3 Encore plus que l'anglais, le code-switching vers le français est également un vecteur de symboles religieux comme "cheval de Troie" dans le but de témoigner et de légitimer des éléments d'une forme de vie en cours de modernisation. Le code-switching vers le français renforce le caractère subversif: "Un plus un plus un …" On pourrait enchaîner à volonté (c'est ce qui se passe effectivement à la fin du morceau), car le résultat de cette équation est toujours le même: 1. Notons la référence à un autre élément de la mystique islamique, le tawħid. Ce terme est la quintessence du seul et unique dogme qui existe dans l'islam: l'unicité de Dieu, et en conséquence l'unité de l'être (waħda). Dieu se disperse dans le monde, son unité se manifeste sous de multiples formes phénoménales dont il garantit en même temps la cohérence.18 De plus, en-dessous de cette manifeste couche de sens sacral se situe, à l'instar d'un palimpseste, un niveau de sens où est mené un discours "à rebours": "1+1+1…" est une équation qui pourrait s'appliquer à la situation d'une éventuelle déterritorialisation arabo-islamique progressive à une échelle plus importante,19 inquiétante pour certains, qui renouerait avec l'ancienne tradition de l'aspiration à une "mondialisation" arabo-islamique (cf. Amselle 2001: 8 et passim). Comme le dit la chanson dans le deuxième vers: "Ceux qui te suivront demain / Ils voudront nous ressembler / Car un plus un plus un plus un plus un …" Le code-switching métaphorique vers le français fait allusion au lien éventuel d'une telle situation avec la problématique sociale qui est thématisée dans le morceau "Parisien du Nord" de Cheb Mami (avec K.Mel – cf. section 4). Il s'agit de la migration de Maghrébins qui s'installent l'un après l'autre ... en France,20 phénomène de masse qui entraîne la déterritorialisation de l'oumma islamique, avec toutes ses implications langagières, culturelles et symboliques, sans porter pour autant atteinte à sa fondamentale unicité.

3.2.4 L'équation Σ 1+1+1 … = 1 est en même temps la quintessence du métissage, et le raï en est un cas exemplaire. Dans le métissage, les composantes ne se neutralisent pas mutuellement. Au contraire, elles persistent à l'intérieur de la nouvelle unité qu'elles créent par leur contact en tant qu'éléments distincts:




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le métissage n’est pas fusion mais alliage […], non de totalisation mais de polyphonie: des oppositions, il fait une juxtaposition. […] Pour le sujet métis, l’autre qu’il est susceptible de devenir, l’autre dont il porte l’identité potentielle […] l’identité de l’autre qu’il peut épouser reste entière (Laplantine/Nouss 2001: 235)

Si on souscrit à la citation suivante de Miliani (1983: 8s.), on est obligé de reconnaître que le raï est profondément caractérisé par le métissage; il serait intéressant de dégager toutes les conséquences de ce constat au niveau de la sémiotique culturelle:

La chanson dite "raï" brasse des codes culturels qui s’entrelacent et se contrarient et qui tracent un univers où se trouve exprimée fondamentalement une dimension sociale précaire.

La relation entre le licite et l'illicite, entre ħallal et ħaram, est ainsi redéfinie, ce qui comporte un aménagement de la ligne de démarcation entre le sacré et le profane dans leur complémentarité polaire (pour cette structure cf. Jablonka 2005: 195 s.; Virolle 1995: 131), dans la mesure où l'aura de la légitimité sacrée est conférée à des débauches d'ici bas, qu’elles soient sexuelles ou alcoolisées. Pourtant, la désublimation ne neutralise pas le noyau sublimé, elle élargit son domaine de validité. Ainsi, par un mouvement où la modernité se dépasse elle-même et rejoint la postmodernité, les termes prima facie incommensurables sont réconciliés.

3.3 Le caractère ludique, poétique, voire "poïétique" (Jablonka 2001b) des procédés d'alternance codique dans le raï nous renvoie au concept du code-switching que Rampton (1995) a introduit dans la discussion sous le titre de crossing. Celui-ci a dès le début été conçu pour l'analyse d'une problématique qui est également centrale dans le raï: la recherche d'une approche critique permettant de faire face à la mondialisation et aux mouvements migratoires à l'échelle mondiale à la lumière de formes de vie urbaines, voire suburbaines. Rampton (1995: 14s.) définit le crossing comme "the use of language varieties with social or ethnic groups that the speaker does not normally belong to". L'occurrence de "situations limite" (liminality) est la condition de la mise en œuvre de ce procédé particulier d'alternance codique. Le crossing apparaît de préférence dans des conditions sous lesquelles les présuppositions et régulations de l'ordre social sont fragilisées, sinon mises en suspens, surtout lorsque les rôles des interactants ne sont pas clairement définis (cf. aussi Androutsopoulos 2003: 83s.). Le résultat est une oscillation paradoxale entre rupture et ritualisation d'attentes normatives. On recourt à des attributions stéréotypées de valeurs et caractéristiques des groupes (ethniques) parlant la langue ou variété linguistique en question, pour les remettre immédiatement en question. D'importance capitale dans cette structure est le procédé que Rampton, suivant Bakhtine, appelle "double voicing" (Rampton 1995: 222):

the way in which different internally persuasive alien voices act upon the utterance […], inserting a new semantic intention into a discurse which it already has, and which retains, an intention of its own. […] In one discourse, two semantic intentions appear, two voices.

3.3.1 Bhabha (2004: 1) rappelle par rapport à la "liminalité" qui va de pair avec cette polyphonie – ou qui est le résultat de celle-ci – le caractère biface de la limite, qui est non seulement un point où l'on s'arrête, mais aussi un commencement. Dans la condition postmoderne, on mène une vie sur la lame du rasoir, et la transgressivité de l'expérience culturelle – "the realm of the beyond" – devient un lieu commun quotidien: "Our existence today is marked by a tenebrous sense of survival, living on the borderlines of the ‹present›" (Bhabha 2004: 1). Le raï est en effet clairement un phénomène liminal;21 nous avons de toute évidence besoin d'une sémiotique de la "situation limite" capable d'adapter productivement le concept du crossing. La transgression langagière d'une limite ethnique ou sociale, telle qu'elle est à l'ordre du jour dans le raï, met l'ethnicité au premier plan et conduit le sujet, pour le moins, à la remise en question partielle, sinon au contournement de cet aspect. Etant donné les implications affectives de la part des sujets, l'idée de "situation limite" apparaît d'autant plus plausible.

3.3.2 Le crossing est un cas spécial du code-switching métaphorique. D'après Androutsopoulos (2003: 84), le code-switching métaphorique est un indice d'intentions, attitudes et sentiments et de leurs changements, contrairement au code-switching situationnel, où l'alternance entre plusieurs codes dépend de schémas comportementaux et sémantiques clairement définis, et qui est en grande partie conventionnalisé et prévisible.22 Il ne s'agit nullement d'une alternance "normale", routinisée et non marquée, mais d'une violation des attentes de co-occurrence. Les résultats de ce procédé sont des fonctions de sens complexes et multidimensionnelles – polyphones –, et accessibles seulement dans le contexte.




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Le crossing s'intègre ainsi dans le métissage (cf. paragraphe 3.1.4), paradigme culturel qui représente une réponse adéquate aux transformations culturelles globales dans l'"Empire" et qui s'avère généralement être un courant majeur du discours de l'hybridité (Erfurt 2003, 2005) d'où résultent des entités symboliques et identitaires paradoxales et qui forment, malgré leur apparence éclectique et hétéroclite, une totalité (cf. Jablonka 2001a). 

3.3.3 Dans le raï, cette totalité paradoxale dans les techniques du switching, particulièrement sous forme du crossing, est une composante fondamentale du style social communicatif (cf. paragraphe 2). Le style social contient des indices de contextualisation, des "modes d'emploi" pour le décodage du texte; c'est pour cela que la compétence, ainsi que la "compétence de performance" par rapport aux styles sociaux, font partie du "capital symbolique" (Bourdieu 2001) et culturel de groupes sociaux (cf. 2.2.). Ces savoirs et savoir-faire sont mis en œuvre dans des interactions où il s'agit de se positionner dans la société et de faire valoir ses intérêts. Dans les conditions de l'"Empire", "univers de réseaux linguistiques productifs" selon Hardt/Negri (2000: 464), où le langage et la communication deviennent les principales forces productives, cette forme de capital devient une compétence clé, compétence qui est aussi décisive pour le fonctionnement du raï. Car s'il est vrai que la subjectivité s'est dissoute dans les réseaux globaux où circulent les signes, alors ces signes, "arènes où se déroule la lutte des classes" (cf. Hardt/Negri 2000: 59, 464), sont traversés par des tensions qui reflètent et, en même temps, processent les antagonismes sociaux; ces tensions traversent, par là même aussi, des subjectivités intra et interindividuelles et sous des formes symboliques et éventuellement esthétiques dans les paroles. Dans la mesure où ce conflit, localisé dans un premier temps au niveau de la base de la société, existe également à l'intérieur des signes et systèmes de signes ainsi qu'entre ceux-ci (cf. Bakhtine 1977: 43s.), la forme de vie tissée par ces derniers est déchirée. Le style social dans lequel cette forme de vie s'objective est d'autant plus tendu, et ces tensions s'articulent et se reproduisent par la récurrence de l'alternance codique et d'autres marques transcodiques. Dans tout ceci, la fonction émancipatrice est évidemment au premier plan, émancipation qui découle de l'objectivation de ces tensions dans la production culturelle par la (ré)appropriation de l'(inter)subjectivité. C'est là la matière première symbolique qui est à la base de la valeur esthétique du raï.


4 Faudel, Mami, Rezki: passages transculturels entre quatre langues (arabe, français, anglais, espagnol)

Procédons maintenant à l'analyse des trois autres morceaux de Faudel, Cheb Mami et du chanteur marocain Cheb Rezki,23 en nous concentrant sur les deux derniers.

4.1 La chanson de Faudel est la seule à se passer entièrement d'éléments anglais. En revanche, les morceaux "Parisien du Nord" et "Ana Lghaltan" sont même ouverts par l'anglais. Le constat d'Androutsopoulos/Scholz (2002: 27) que les éléments anglais représentent des composantes non négligeables des paroles du rap non anglais est également valable pour le raï. Si le morceau de Mami est ouvert par la brève formule introductive "Watch out!", la chanson proprement dite est précédée d'une sorte de "prologue" moitié anglais, moitié anglisant. Ce "prologue" est difficilement compréhensible et n'a, pour cette même raison, pas pu être transcrit. Il est possible d'identifier certains éléments comme ceux-ci: "Check it with the black / ‘cause I‘m the Booba / Together we are from the black, from the West". Il s'agit d'un cas évident de crossing. Non seulement les caractéristiques phonétiques, avec de nombreuses interférences, permettent de reconnaître qu'il ne s'agit pas d'une langue habituellement employée par ce chanteur, mais en plus, le texte est dépourvu de toute cohérence avec les paroles de la chanson proprement dite. En effet, on voit mal pourquoi une telle cohérence serait délibérément recherchée. Aucun indice éventuel ne nous informe que le public serait gêné par ce manque de cohérence ou qu'il s'interrogerait sur le contenu de ce "prologue". Ce qui est décisif, c'est l'effet de signal métacommunicatif de l'usage de l'anglais. Le chanteur souligne ainsi son ancrage dans une tradition internationale de musique pop dominée par le monde anglo-américain et s'intègre dans le discours hégémonique de l'industrie culturelle qui s'y noue. Comme dans le morceau de Mami, ce "prologue" fait quasiment office de "drapeau" du morceau: c'est la prémonition de son programme. L'absence totale de tout lien, qu’il soit d'ordre musical ou stylistique, avec la black music24 n'a en cela pas la moindre importance. Il est beaucoup plus intéressant, et important, que le public soit susceptible d'identifer l'adjectif black comme élément faisant partie de la langue anglaise et d'établir le lien associatif entre la chanson et le modèle occidental de mondialisation, sur la base du prestige attribué à l'anglais – "from the West", précisément. Nous souscrivons pour cette raison, par rapport au raï, à quelques détails près, à la caractérisation qu'Androutsopoulos/Scholz (2002: 27) proposent de la fonction d'éléments anglais dans le rap non anglais:




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English elements have first and foremost a referential function with respect to the culture’s major roles and activities. [… Rappers] stylize themselves as "underground" or "subcultural experts" through the use of slang and certain formulaic utterances.

Ce procéde du choix de la langue, en opposition avec les autres langues et variétés linguistiques en présence, est un élément important qui est caractéristique du style social communicatif du raï. D'une part, le chanteur se positionne symboliquement dans une tradition étroitement liée à la modernité. En même temps, le switching permet au chanteur, et à la chanson, de garder le contact avec les variétés linguistiques locales, notamment avec les variétés dialectales de l'arabe (en l'occurrence algérienne, dans le cas de Rezki marocaine). Ainsi, on conserve et/ou (ré)établit aussi le lien avec les traditions locales et la forme de vie autochtone maghrébine. Le raï se présente ainsi d'une part comme un "cheval de Troie" de la mondialisation selon le modèle occidental dans le monde arabe. D'autre part, il donne aussi un espace énonciatif aux instances de la tradition maghrébine de contrer sur le plan discursif cette évolution souvent vue comme une sorte d'invasion. Du point de vue de la sémiotique culturelle, ce constat confirme le jugement paradoxal de Hardt/Negri (2000) selon lequel l'"Empire" est, certes, une forme de domination répressive, mais qu'il crée aussi les conditions de marges de liberté en faveur de contre-courants oppositionnels (cf. 1.6).

4.2 La présence de l'anglais est ainsi constitutive du style social; cela est vrai à plus forte raison de l'alternance, voire de l‘amalgame entre le français et l'anglais. Les morceaux de raï où apparaît l'anglais en absence du français sont rarissimes (contrairement à l'espagnol et, bien sûr, à l'arabe). L'emploi de l'anglais est, pour la plupart, hautement ritualisé (comme dans les parties introductives), voire stéréotypé – mais ce n'est pas systématiquement le cas, comme dans "Indie".

4.2.1 La 5ème ligne dans le morceau de Rezki mérite dans ce contexte une attention particulière. En écoutant la chanson et en transcrivant les paroles, mes informatrices et moi-même avons eu du mal à tomber d'accord. On peut distinguer une lecture "francisante" et une autre "anglicisante"; nous mettons des accents graphiques, compte tenu du rythme qui ressemble presque à un staccato:

ligne 5 A ("anglicisant"): […] je prénds le míke ah Máma

ligne 5 B ("francisant"): […] je prénds le míke à má main

C'est la réalisation, ou bien la perception de la dernière voyelle qui fait la différence: soit comme [ε̃] ou comme [a]. Ce n'est qu'une analyse phonétique expérimentale, à laquelle nous ne pouvons pas procéder dans le cadre de cette contribution, qui pourrait apporter l'ultime réponse. Pour cette raison, nous considérons les deux lectures comme justifiées et complémentaires. Un facteur qui semble confirmer la version "francisante" (avec [ε̃]) est le cotexte français. De plus, il apparaît logique qu'on n'entende pas d'anglais si on ne connaît pas cette langue; en effet, même parmi la jeunesse urbaine maghrébine, la connaissance de l'anglais est toujours plus l'exception que la règle. Il y a, en revanche, plusieurs arguments en faveur de l'hypothèse d'un switch intraphrastique vers l'anglais par l'adaptation mimétique de mots et syllabes de remplissage, stéréotypes propres de la musique pop anglo-américaine. D'une part, nous sommes en présence de l'anglicisme mike à la place de la forme abrégée micro, tout-à-fait courante en français. D'autre part, le rythme avec la syllabe de remplissage répétitive ah noue le lien avec le Rock‘n‘Roll. Ce procédé est récurrent, comme on peut le voir et entendre deux fois dans les lignes 8−9 (le rythme est de nouveau marqué par les accents): "Ah cómme à (= ah) l‘hábitúdə / Ah cómme à (= ah) l‘hábitúdə". De plus, le compte, qu’il soit progressif ou à rebours, est une tradition de discours typique du Rock‘n‘Roll américain;25 c'est une tradition avec laquelle on renoue, même si elle est matériellement transposée sur le français:




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ligne 23: 7 – 8 – 9 hey mec, quoi de neuf?

ligne 36: 3 – 2 – 1 écoute ce refrain, retiens-le bien.

Cette imbrication de l'anglais avec le français, pour laquelle se trouveront d'autres évidences (cf. 4.2.2) est importante pour la genèse du style social dans la mesure où l'on adopte une pose orientée sur l'hégémonie occidentale de l’"Empire", pose qui est certes signalée ou bien annoncée par l'anglais, mais réalisée et mise en œuvre par le français. La langue française apparaît, par rapport à la mondialisation, quasiment comme l’"associé junior" occidental de l'anglais, puisque l'histoire coloniale a voulu que le français soit la langue seconde ancrée comme phénomène de masse dans le Maghreb. Si on veut bien me pardonner une analogie un peu métaphorique: dans le raï, la relation entre l'anglais et le français revient, par rapport à l'"Empire", quasiment à celle entre "Big Brother" et "petit frère".

4.2.2 Dans le rap, Androutsopoulos/Scholz (2002: 27) reconnaissent une fonction de stylisation de l'anglais qui permet au rappeur de s'inscrire, sur le plan du style social, dans le discours d'une subculture "Underground". En revanche, dans le raï, l'alliance des deux langues occidentales dominantes, l'anglais et le français, même représentées par des variétés sous-standard, cette alliance est généralement plus marginale et allusive. Elle se manifeste en grande partie par des anglicismes déjà intégrés dans le sous-standard français ("hey mec", Rezki ligne 23; "oh shit", Mami ligne 42), sous-standard pourtant très présent qui prend en grande partie la place du français standard. Nous trouvons notamment dans la partie centrale de "Parisien du Nord", présentée par K.Mel, toute une série d'argotismes caractéristiques. L'effet esthétique associé à l'"Underground", voire à la notion de "galère", est remplacé par la rime sur -[ne]: caner resp. canner (ligne 26: 'céder, abandonner, partir, disparaître, mourir'); c‘est fané (ligne 29: 'cela ne vaut rien'); c‘est la tannée (ligne 31: 'on en a marre'), ainsi que le nom standard années (lignes 23, 28). De plus, au niveau morphologique, avec clando, nous sommes en présence d'une occurrence formée selon la formule "apocope avec –o", schéma d'origine argotique qui a, cependant, connu ces derniers temps une diffusion largement au-delà de l'argot ("Ségo/Sarko" ...). Précisons toutefois que dans la variété de banlieue, clando n'a pas seulement le sens de 'clandestin', mais aussi de 'personne en situation irrégulière, sans-papier', d'où l'appel à la solidarité qui est connoté avec ce terme dans la forme de vie en question. Quelques emprunts à l'espagnol méritent également discussion: Padré (ligne 23 'patron'; la signification de padre 'père' s'est complètement effacée) est un hispanisme désormais intégré dans l'argot (péri)urbain. Habla (ligne 4), en revanche, est un lexème espagnol non intégré, qui nécessite néanmoins dans cette collocation (habla chichi) un commentaire. D'abord, chichi est synonyme de churro qui désigne une nourriture populaire espagnole. Vu l'absence totale dans le cotexte d'éventuels références à ce plat, nous avançons l'hypothèse qu'il s'agit plutôt d'une forme tabou de chicha. Chicha désigne une pipe typique du Maghreb qui est notamment utilisée pour la consommation de certaines substances illicites, substances dont la valeur symbolique culturelle ne peut guère être surestimée dans les codes de banlieue.26 En outre, chicha peut aussi être considéré comme le produit de la verlanisation de haschich. Cette chaîne de connotation associative est motivée par le titre: La mythologie du nord, très présente dans la culture de banlieue, contrebalance l'orientation dominante sur la côte méridionale de la Méditerranée (cf. Lepoutre 1997: 50s.). Cette complémentarité sémiotique quelque peu surprenante s'explique par le fait que la banlieue nord de Paris (notamment en Seine-Saint-Denis) représente le terrain le plus "chaud" – et par conséquent le plus intéressant du point de vue ethnolinguistique.27 Ainsi est clairement établi le lien avec les codes linguistiques et culturels, fortement influencés par l'arabe, de la banlieue française. Par rapport au style social, on peut constater que le raï adopte une pose volontairement stylisée, pose qui confirme au niveau sémiotique le diagnostic de Lepoutre (1997: 46) selon lequel la culture française interstitielle de banlieue est une "culture à la fois populaire et méditerranéenne". Ici, le méditerranéen est évoqué symboliquement par les éléments espagnols (cf. 1.2). Sur le plan de l'imaginaire mythologique, nous sommes ainsi en présence d'une unité polaire du nord et du sud. Peut-être que "habla chichi" serait une dénomination potentielle de l'ensemble des procédés symboliques reflétant, articulant et reproduisant la culture interstitielle populaire et méditerranéenne, dénomination donnée par les locuteurs qui s'intégrerait bien dans une nomenclature de variétés de contact. Il ne fait aucun doute que ce "contre-langage" (Tenaille 2002: 140), résultat de la situation complexe de contact, trouverait aisément sa place dans une telle nomenclature, en raison du recodage qui est opéré par cette variété. Cela saute aux yeux si nous appliquons l'affirmation d'Androutsopoulos/Scholz (2002: 27), par rapport à l'anglais dans le rap, au raï, et de même à l'usage de l'espagnol qui y est fait: "English provides the input for the creation of a ‹native› stylistic repertoire which includes both direct loans and calques". Cela permet de dépasser le local et d'envisager la dimension transnationale et globale, tout en intégrant dans cette perspective élargie des traditions (de discours) certes d'origine anglo-américaines, mais introduites par l'intermédiaire du français comme vecteur matériel. Il apparaît que cette polyphonie, dont la tonalité est spécifiquement maghrébine, dépasse largement la duplicité du "double voicing". La "glocalisation" est ici symboliquement processée au niveau micro.




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4.3 L'usage du français ne représente un cas de crossing ni dans les morceaux de Faudel, ni de Taha, ni de Mami. En revanche, dans le morceau de Rezki, il existe des indices de la présence de crossing, au moins par rapport aux registres sous-standard. Il a déjà été constaté (cf. Glessgen 1997 pour l'écrit, et Jablonka 2007c: 7, pour l'oral) que les discours marocains en français ont tendance à des ruptures de style et de niveau, à peine contrôlées. Ceci apparaît également dans le raï.

4.3.1 Chez Rezki, les paroles présentent également des occurrences du sous-standard spécifique de la banlieue française. Cependant, l'usage de ces éléments diffère de leur milieu d'origine. Manifestement, la stratégie discursive ici adoptée est de se situer symboliquement dans une tradition subculturelle française. L'identification avec le rappeur franco-sénégalais Booba dans le "prologue" anglais pourrait être interprétée comme un indice de cette stratégie.28 Signalons deux occurrences (ligne 7, ligne 39) d'adverbe avec suffixe zéro (ADJ + Ø → ADV): "t‘as pas joué malin". Pris en lui-même, ce phénomène n'est pas particulièrement remarquable. Les choses se compliquent, et attirent notre intérêt, du fait de l'occurrence du nom verlanisé mœuf (ligne 24) dans ce contexte. Dans la variété de la banlieue française, la signification de ma mœuf est, bien sûr, 'fille avec qui je sors'. Il est généralement exclu (sauf si l'expression péjorative est délibérément recherchée) que mœuf désigne la fiancée, et encore moins l'épouse, du locuteur. En revanche, il m'a été possible d'observer à plusieurs reprises que des locuteurs marocains, en parlant de leurs conjointes, élargissaient l'extension sémantique de mœuf dans ce sens. Lors de l'intégration de ce lexème dans la variété désignée comme "français standard (±) intermédiaire" dans Jablonka (2007a: 17), mœuf occupe une place plus importante et couvre un segment de sens accru dans le champ sémantique de la personne féminine. L'usage de ce lexème dans les paroles de la chanson suit manifestement cette règle interlectale, puisque l'intention de mariage ne semble nullement faire défaut (cf. lignes 45−46). Cet écart vis-à-vis de la norme de la variété sous-standard, posée ici comme norme de référence, est à l'origine d'une saillante rupture de style: dans "mœufs / qui cherchent le fric comme les bœufs"29 (ligne 29), l'argotisme fric est inséré dans un pseudo-phrasème. La comparaison ressemble à un préfabriqué phraséologique, mais ne l'est pas, car elle n'est idiomatique dans aucune variété du français. La tentative d'imiter la norme sous-standard exogène informelle semble entraîner l'émergence de normes sous-standard endogènes extrêmement rudimentaires. Celles-ci sont à peine acceptables, car au Maroc, l'interlecte intermédiaire socialement non marqué du français a, du point de vue hexagonal, en lui-même déjà des caractéristiques sous-standard. Mes informatrices maghrébines, bien familiarisées avec la culture française de banlieue, ont réagi avec stupéfaction: "Ça veut faire branché, mais c‘est n‘importe quoi". Cependant, l'appréciation du jeune public local n'est nullement amoindrie de ce fait; on peut supposer que les consommateurs de cette musique disposent de savoirs linguistiques et métalinguistiques plurilingues en principe comparables avec celles du chanteur. Le raï favorise ainsi l'évolution d'une norme sociale stylistiquement indifférenciée du français parlé par la jeune génération marocaine en milieu (sub)urbain. Pour cette raison, du point de vue référentiel européen, le positionnement sociostylistique comme "branché" échoue; en revanche, les déficits de compétence du in-group donnent naissance à l'émergence sociostylistique endogène.




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4.3.2 Mutatis mutandis, ces constats permettent des conclusions analogues à nos affirmations concernant l'anglais (cf. 1.4). Dans une grande partie des productions algériennes du raï, les éléments français font partie de la variété standard endogène avec peu d’interférences arabes (cf. notre schéma par rapport au Maroc dans Jablonka 2007c : 17). Ceci est, sans aucune réserve, le cas des deux morceaux du raï algérien30 cités dans ce travail, à l'exception des éléments argotiques vus dans "Parisien du Nord". Les écarts par rapport aux normes exogènes "hexagonales" sont minimes. La situation des productions du raï marocain ne se présente pas dans les mêmes termes. Selon le modèle proposé dans Jablonka (2007c), les éléments français de tous les morceaux du raï marocain que je connais se situent un échelon en-dessous de l'homologue algérien. La différence de la durée de l'époque coloniale – 44 ans au Maroc, contre 132 ans en Algérie – laisse ainsi des traces dans la variation linguistique même un demi-siècle après l'indépendance des deux pays nord-africains.

4.3.3 Ce constat est confirmé par quelques interférences arabes, dans les paroles de Rezki, à différents niveaux de l'articulation linguistique: ligne 19 "à ma maison je rentre tard": La présence du déterminant possessif ma représente un écart par rapport au français standard exogène (à la maison). Nous pouvons identifier cette forme comme une interférence grammaticale de l'arabe daːri respectivement داري

De plus, à la ligne 33, nous trouvons une interférence phonique motivée par l'allophonie de [o] et [u], qui sont tous deux des variantes du phonème /u/ dans la L1 du chanteur. Dans ce contexte, on s'attendrait, en français, à la variante [o], donc "jusqu'à la mort". Nous apercevons, au contraire, la variante [u]: "jusqu'à l'amour". Compte tenu du cotexte global du morceau, où nous rencontrons tout l'éventail d'issues d'une histoire d'amour, de la séparation (ligne 4) au mariage (ligne 45), il semble légitime d'attribuer à ces deux variantes une complémentarité polaire, polarité qui est exprimée de façon condensée par les paroles du morceau elles-mêmes (ligne 8): "le début c'est la fin". C'est en vertu de l'interférence que cette identité des termes opposés mobilise le potentiel poétique du contact linguistique, potentiel qui correspond à un topos esthétique de l'unité de la vie et de la mort. Nous rencontrons ce même topos également dans le morceau cité de Faudel (ligne 10, ligne 12).

4.3.4 La polarité, qui oscille entre la culpabilisation (en arabe ligne 3, en français ligne 22) et la reconnaissance de la faute (en arabe dans le titre, ligne 1, en français ligne 48), se manifeste également dans l'alternance codique franco-arabe. L'ambivalence à laquelle est soumis notamment le français est évidente. D'abord, le texte passe dans la ligne 45, après cinq lignes et avant deux autres lignes principalement arabes, un instant vers le français pour exprimer l'intention du mariage. En effet, il s'avère que, comme l'a exprimé Virolle (1995: 10), dans le raï se rencontrent paradoxalement des tendances tant de révolte que de conformisme.31 Si on veut réintégrer le conflictuel dans le système, cette opération nécessite l'aura légitimatrice d'un standard social et l'étalage de capitaux symboliques – une sorte de "potlach sémiotique" qui n'apparaît crédible et suffisamment prestigieux que dans une langue standard prometteuse de statut social et réussite matérielle, qu'elle tienne ses promesses ou non. Cette langue standard est incontestablement au Maroc (et dans tout le reste du Maghreb) le français, et aucun concurrent sérieux n'est pour l'instant en vue (cf. Jablonka 2007c: 9s.). D'autre part, le conflictuel, voire cauchemardesque (cf. ligne 10), se prête de manière privilégiée à la mise en mots en français, pour des raisons liées à l'histoire coloniale et à la mondialisation qui ont entraîné l'importation de la forme de vie occidentale. Les lignes 4−10 et 19−20 décrivent dans un français très précis le stress dont la dite forme de vie est la source. L'exactitude va jusqu'à dire l'heure à la minute près (ligne 5), norme discursive à laquelle l'arabe est notoirement réfractaire. Il n'est par conséquent pas étonnant si tout ceci s'intègre dans le domaine de la langue dans laquelle la modernité à été installée dans le Maghreb: le français. Sur le plan de la stylistique sociale, le choix et l'alternance des langues expriment précisément ce tiraillement, ce processus schismatique caractéristique du raï, phénomènes dont nous avons esquissé ci-dessus les racines socioculturelles et sociohistoriques.




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5 Bilan: Le raï, moteur d'un "contre-Empire"?

Revenons dans le chapitre final à notre question, évoquée dans la section 3.2.3, de savoir si le raï peut éventuellement contribuer à la mise en place d'un "contre-Empire".

5.1 Nous essaierons d'apporter une réponse différenciée à cette question. Il faut d'abord constater que la protestation contre les frustrations et les répressions perpétuées dans les structures sociales représente une source de production esthétique soumise à la forme de marchandise. C'est par ce biais que des tendances opposées à la logique de l'"Empire" sont réintégrées dans le système. Sans marché musical, sans "show-biz" orchestré par l'industrie culturelle internationale, cette forme d'articulation esthétique de la protestation dite "raï" n'existerait même pas. Les impératifs du marché favorisent l'intégration de langues européennes dans les centres urbains maghrébins, ainsi que, dans un contexte de migration maghrébine massive dans les centres urbains français – la pénétration de l'arabe dans la production culturelle commercialisée comme le raï. Ce syndrome économique est la raison pour laquelle l'acceptation de ces productions présuppose nécessairement que le raï, pour faire son chemin, adopte des techniques discursives conventionnalisées, sinon stéréotypées. S'il est vrai, comme le formulent Hardt/Negri (2000: 78), que le capitalisme se reproduit dans le mode du spectacle, alors l'"Empire" gagne son match contre le raï même sur le terrain de ce dernier. Car selon la logique de l'exploitation de compétences communicatives ayant pour but de s'opposer au fonctionnement de l’Empire et qui ont tendance à prendre la forme des forces productives décisives, ces mêmes compétences sont soumises aux lois du marché et détournées de leur impulsion initiale (cf. 3.3.3).

5.2 D'autre part, l'alternance continue entre l'arabe et les langues standard européennes est, au niveau de la communication de masse, un aspect de la déterritorialisation du Maghreb, et en même temps la conséquence de l'ouverture des cultures occidentales à la civilisation arabo-islamo-orientale. Nous observons une continuité, en voie de stabilisation, d'un "interstice" (sub)urbain (Magheb) à l'autre (France). En effet, cette continuité est explicitée chez Rezki et Mami/K.Mel. Rap et raï, les deux formes d'expression musicales centrales et organiquement imbriquées avec les formes relatives de vie interstitielles, montrent des tendances affines,32 affinités qui pourraient éventuellement s'accroître dans l'avenir. C'est notamment l'emploi d'éléments du sous-standard français qui se prête à instaurer des continuités. Les procédés discursifs plurilingues esthétisés sont propices à souder des tendances oppositionnelles face à des expériences répressives, en particulier dans des contextes migratoires, comme nous avons pu le démontrer par l'exemple du morceau de Cheb Mami. Ces stratégies peuvent ainsi être mises en œuvre en vue de calibrer des identités multiples et des (inter-)subjectivités "rebelles" (Hörnig/Winter 1999) – de celles qui se situent dans un interstice de l'"entre-les-deux" (voire plus...). C'est là où la fonction de passage du transculturel, son caractère transitoire, sont les plus virulents.




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5.3 Il est à souligner que l'émergence de l'interstice est conséquence et symptôme d'une situation "limite" de crise, d'une liminalité marquée notamment par la dissolution du caractère cohésif et obligatoire des codes traditionnels. Le potentiel conflictuel plonge ses racines dans l'histoire coloniale. Le conflit colonial est, pour ainsi dire, "gravé" dans les langues en contact, dans les techniques discursives récentes et les procédés d'expression symbolique. C'est là où le conflit continue à "couver", et il se fait sentir même au niveau post-/néocolonial.33 Il ne fait néanmoins aucun doute que l'émergence d'entités identitaires et symboliques hybrides, de patchwork, telles qu'elles apparaissent aussi dans le raï, sont, sous leur forme endémique actuelle, un phénomène principiellement nouveau. Cette nouvelle configuration s'inscrit dans la logique de l'évolution de l'"Empire", comme le montrent de manière convaincante Hardt/Negri (2000: 17).

Le raï est ainsi une réponse au challenge d'un monde déterminé par de nouveaux ordres complexes formés de différenciation et d’homogénéisation, de déterritorialisation et de reterritorialisation. Ceci s'explique du fait de sa transgressivité inhérente à son impulsion principiellement centrifuge, transgressivité dont le théâtre est toutefois toujours et nécessairement l'"Empire". Le raï est une forme d'expression adéquate à cette nouvelle situation dans laquelle nous retrouvons, dans les procédés symboliques décrits, tant le tiers monde dans le premier que le premier dans le tiers monde (Hardt/Negri 2000: 17). Au niveau géographique, le tiers monde dans le premier, ce sont, évidemment, les quartiers périphériques de banlieue, alors que le premier dans les tiers-monde est représenté par les grandes métropoles d'Afrique et d'ailleurs (cf. Negri 2003: 8) – où se produit et se diffuse, entre autres aussi, le raï. Ce qui nous intéresse, ce sont la transposition et la représentation de ces catégories géographiques au niveau symbolique dans les codes, tels qu'ils apparaissent, alternent et se mélangent dans le raï. L'émergence des codes interstitiels est la réponse aux phénomènes de crise liés à la mondialisation. La situation "limite" entraîne dans ce contexte mondialisé la dé- et reterritorialisation poétique ("poïétique") des codes (cf. Jablonka 2001b; cf. aussi Jablonka 1998). Les dynamiques sémiotiques complexes et ambivalentes d'hybridation et de métissage sont dans ce contexte de passage et de transition (cf. Hall 1999: 434) les seules à pouvoir faire face sur le plan communicatif aux évolutions en cours à l'échelle planétaire.

5.4 Dans le "double-voicing" et d'autres procédés ambivalents, voire polyphones, de la production du sens, caractéristiques du métissage, s'objective et se cristallise la contradiction qui est à la base de la tension de la dynamique linguistique et culturelle. La nature biface de cette structure est un aspect de la dynamique qui est le moteur de l'"Empire", une dynamique à laquelle le raï participe et qu'il accélère dans une certaine mesure; et une dynamique qui laisse une ouverture pour une évolution interne de l'"Empire" apte à déclencher des processus susceptibles de libérer la société de certaines de ses structures répressives.




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Annexe: transcription des paroles des quatre principaux morceaux de raï discutés

Indie (1+1+1…) (Rachid Taha)
 qulːi min jadː‘aυ Dis-moi de qui ils se réclament
 It‘s no water and no money nor anything 
 fiːl ‘ilmi falsafatun Parmi les scientifiques et les philosophes
 Life is a thing that I love again 
5‘alimtu ʃaɪʔan Tu as appris quelque chose
 Communicating and understanding 
 wa ʀabat ‘anka aʃːjaːʔun Et d‘autres choses te sont cachées.

 Life is a thought, it‘s celebrating 
 isqiːni xamran Arrose-moi de vin.
10Another love, another love, another loving life 
 wa qulːi anːa alxamra Dis-moi que le vin
 It‘s returning, another thing of life 
 wa li tasqiːni sirːan Ne m‘enivre pas en cachette
 It‘s a food of the One, it‘s food of the night. 
15idaː ‘nka alʒaːru Si tu as chez toi un voisin.
 Give me some wine. 
 Tell me it‘s wine. 
 Let me start playing, 
 Come on, it‘s coming here. 
20Indie … Un plus un plus un …(bis)
  
Tellement n'brick (Faudel)34
 Ro‘ya maah chafouni nebghiha Ils sont avec lui (ou avec le raï), ils se sont rendu compte que je l’aime.
 ndirha raï, wah Je fais ce que je veux.
 ro‘ya maah, nass gharou menna Les gens sont jaloux de nous,
 idirou kifna wah, wah Et ils font comme nous.
5wa ah, ah, ah laïli wah 
 Refrain: 
 tellement je t’aime, je pense à toi 
 tellement je t’aime, je rêve de toi 
 tellement je t’aime, passionnément 
 tellement je t'aime, à la folie 
10tellement nebghik, nmout aalik Tellement je t’aime, je meurs pour toi.
 tellement nebghik, nsaqssi aalik Tellement je t’aime, je te cherche.
 tellement nebghiha, nmout aaliha Tellement je l’aime, je meurs pour elle
  
 raï ah yah yah 
 ro‘ya maah, lakin bi mahanti (Cf. ligne 1) mais avec mes souffrances.
15mehna msofja wah Avec mes souffrances.
 ro‘ya maah(Cf. ligne 1)
 la ilaha illa Allah, biha blaouni wah Il n’y a de dieu que Dieu, je l’aime.
  
 Refrain: 
 nebghiha, ah wah Je l’aime.
 wallafetha rani ngoul likJe me suis habitué à elle, je te dis.
20dima maaha, ah wah Toujours avec elle.
 la vérité lhaq, ngoul lik essah Je te dis la vérité.
 wa ah ah ah, wa ya laïli ah 
   
 Refrain 




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Parisien du Nord (Cheb Mami avec K-Mel)35
 Watch out... 
 Ha, le revoilà le trio 
 Pour le remix 
 Habla chichi 
5Ha, Imhotep, Mami, 
 K-Mel 
 Et on y va 
   
 Refrain: (Mami)
 
 Comme ça, vous m‘avez trahi 
 Comme ça... 
10Hakada dertouha blya hakdaComme ça, vous vous êtes moqués de moi, comme ça.
 Hakda l‘aabtouh blya hakdaComme ça, vous m'avez fait un coup bas, comme ça.
 Ala echno n'kartouni ou étrangerPourquoi m‘avez-vous exclu?
 Kouni hasseb di bladi nua h‘naya n‘mountSi j‘avais prévu cela, je serais resté dans mon pays.
 Ala wechno n‘kartouni ou étranger 
15Kouni hasseb di bladi nua h‘naya n‘mount
 
   
 Refrain 
 Mon choutèkouni walit gh‘rib lawali lah‘bib Mon "je te connais" est devenu étranger, sans saint, sans amour.
 Pourtant zaid h‘na had c‘chi h‘ram 
 Mon choutèkouni walit gh‘rib lawali lah‘bib 
Pourtant zaid h‘na had c‘chi h‘ram Je suis né ici, ce n‘est pas possible.
   
 Refrain (K-Mel) 
20Parisien du Nord, clando d‘abord 
 Un titre dans la musique, sans passeport 
 C‘est le talent d‘abord 
 C‘est comme le Padré qui t‘a fait ramer pendant des années 
 Des exploitants que 
 C‘est comme le Padré qui t‘a fait ramer pendant des années 
 Des exploitants que 
25Je me ferais un plaisir 
 De caner 
 J‘suis pas violent 
 Mais tant d‘années à 
 5000 francs, c‘est fané 
30Et pour les jeunes, 
 C‘est la tannée 
 Non fallait pas faire 
 L‘erreur, l‘assimilé 
 D‘façon, ces professions ce ne sont pas que 
35Des bassesses de vocation 
 La leçon à en tirer, c‘est quoi que tu dises 
 Quoi que tu fasses 
 T‘es embauché tant qu‘on a pas vu ta face 
 (ha ha) 
40Je vois des jeunes P.D.-G dans leurs bureaux 
 Gérant leurs entreprises comme on gère des 
 Kilos (oh shit) 
 C'est pas dur, j‘veux voir des "surbouffeurs" 
 [des enceintes] aux murs 
45je veux voir des sœurs comme chef ou secrétaire 
 qui tapent pour leurs compétences et non 
 pour leurs derrières 
 je veux enfin que les jeunes pèsent à vrai dire... 
 Ala wejhi n‘kartouni ou étranger (cf. ligne 12) 
50Kouni hasseb di bladi nua h‘naya n‘mount Si j‘avais prévu cela je serais mort dans mon pays
 Ala wejhi n‘kartouni ou étranger (cf. ligne 12) 
 Kouni hasseb di bladi nua h‘naya n‘mount (cf. ligne 50) 
 Hakda l‘aabtouh blya hakda (comme ça)... (cf. ligne 9−10) 




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Ana Lghaltan [Je suis en faute] (Cheb Rezki)36
 anːa lʀaltan maːʃi ntiJe suis en faute, pas toi,
 anːa li ‘faktək maː ʃaktiJe t‘ai désiré, pas toi
 anːa liufːt waʀdarti (bis) C‘est moi qui suis honnête, et c‘est toi qui me laisse tomber
 A chacun son histoire, à chacun sa route. 
5A 19h20 je prends le mike à ma main [ah Mama?], 
 Aller loin loin, vers mon destin. 
 Passer mon chemin, t‘as pas joué malin. 
 Le début c‘est la fin, ah comme à l‘habitude, 
 Ah comme à l‘habitude on vit sans corriger notre attitude. 
10Mon histoire je vis comme un cauchemar. 
 sabər qult m‘ɛlif Je suis patient mais cela ne me fait rien.
 bɛlɛk ʀɛdwa jɛhdik rabːi J‘espère que demain Dieu va te convaincre.
 ndir kilːi m‘ɛla bɛliʃ Je fais comme si je n‘en avais pas conscience.
 wutnsa lkia fiː qalbi Je garde le mal dans mon cœur.
15blɛʃ nəhədər wɛʃ naquːlCe n‘est pas la peine d‘en parler et de le dire.
 ʃno lhadra lskɛːt xir Le silence vaut mieux que les paroles.
 jataːl sabri bɛn lhaυl Ma patience est longue, tout est clair,
 huwa lqalb sajər jet‘amːar Et mon cœur va exploser.
 Toujours à mon travail, à ma maison je rentre tard. 
20Avec mes párents, mes pátrons je suis en bagarre. 
 Et comme ça le problème reste le même. 
 A cause d‘elle, le problème c‘est elle. (bis) 
 7 – 8 – 9 hey mec, quoi de neuf? 
 Y‘a pas, y‘a pas à donner à toutes les mœufs 
25Qui cherchent le fric comme les bœufs. 
 nti diːri li təbri Toi tu fais ce que tu veux,
 diːri u ziːdi jɛ lɛla Fais, et encore fais, Madame. [signer.
 li ʒa anːa ltsiːni, ‘ɛli Tout ce qui est arrivé (les papiers), je vais le
 kiʒiːtək ‘ʒbək wunti la A ton avis, moi je te désire, et toi non?
30ja mɛhma diːri təbqi lijːa Quoi que tu fasses, tu restes à moi. 
 qalbi hwaːha pour toujours Mon cœur l‘aime pour toujours.
 wakun ʒɛːni dɛlːɛli mɛnsɛːk Si tu viens je ne t‘oublierai pas. 
 Jusqu‘à la mort (= l‘amour?). 
 Il y a le vrai, parfois il y a le faux. (bis). 
35La vie c‘est pas facile, chacun a son défaut (hao!). 
 3 – 2 – 1 écoute ce refrain, retiens le bien. 
 Les choses vont mal, ça n‘ira pas mieux demain, 
 D‘aller plus loin loin, vers mon destin, 
 Passer mon chemin, t‘as pas joué malin. 
40dɛrtha lijːa l‘adolescence Elle me l‘a faite, l‘adolescence,
 wul qalb lħɛsɛs rəmɛni Et le cœur sentimental m‘a jeté
 mɛbiːn l‘aʃəq wu la souffrance Entre le désir et la souffrance.
 ħta liqult burkɛːni D‘abord je l‘ai dit à mon volcan,
 burkɛːni wa j‘ai pas de chance. Mon volcan, et j‘ai pas de chance.
 la‘ɛk baɪda rani n‘ɛni Avec toi, la blonde (blanche), je souffre.
45Ça sera mieux avec l‘alliance. 
 nəħlif jamais naʃak tɛni Je n‘aimerai plus jamais une autre fois.
 wala Je te jure.(ou: Voilà?)
 Oh, c‘est ma faute. (3x) 
 Il y a pas de confiance. 




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Notes

1 Le présent texte est dédié à mes trois "informatrices" maghrébines: c'est grâce à leurs explications et renseignements, notamment par rapport aux variétés arabes, que ce travail a pu naître.

2 Erfurt (2003: 25) parle d'un "paradigme culturel" qui connaît un essor depuis les années 90 et qui nous sert de base de référence.

3 Nous préciserons ce concept dans le contexte du morceau "Indie (1+1+1…)" de Rachid Taha (cf. 3.2.4).

4 Cf. par ex. le groupe 113 et l'analyse des paroles de leur morceau "Tonton du bled" dans Jablonka (2004: 75s.) – cf. également Bierbach/Schulz (2007: 254ss.). Cette problématique joue aussi un rôle dans le morceau "Parisien du Nord" (Cheb Mami avec K.Mel), discuté dans la 4ème section du présent article.

5 Dès le début, le business du raï en Algérie était caractérisé par une production foisonnante de cassettes, lancées sur le marché selon une méthode simple (cf. Daoudi/Miliani 1996). Pour le Maroc, ce principe est toujours valable, même si les CDs, souvent gravés avec des moyens techniques très basiques et de mauvaise qualité, ont tendance à remplacer les cassettes audio. Ainsi, une cassette audio sans titre et sans nom d'interprète et où il n'apparaît que le nom "Mega Zone", qui est celui d'un label casablancais, représente un spécimen du raï local exclusivement en langue espagnole. Dans les paroles, nous identifions "al Levante" comme thème répétitif, et le message central, bien ambivalent, est: "Es importante piensar al Levante". L'ambivalence réside dans la double motivation du terme Levante, qui peut désigner tant la région dans l'est de l'Espagne que l'Orient (au sens géographique et culturel). Nous sommes en présence d'une identité polaire des contraires, esthétisée et condensée dans le monde méditerranéen: L'Orient, représenté par le Maroc, se (re)définit par son orientation sur l'espace méditerranéen occidental (notons que Maghreb, le nom arabe de l’Etat marocain, signifie ‘Occident’ en arabe).

6 Cf. Vicente (2004): dans l'alternance codique de la jeune génération à Sebta, la fonction de l'espagnol est analogue à celle du français, dans la plupart du Maroc, dans la communication entre bilingues.

7 D'après Devereux (1977: 358), des structures ethnopsychologiques universelles sont à la base de ce phénomène: "Chaque culture paraît contenir […] d‘importants systèmes de pensée et d‘institutions qui, bien que culturellement sanctionnées, s‘attachent en réalité à nier les fondements mêmes de cette culture et parfois de toute réalité."

8 Cette fonction "globalisée" apparaît clairement dans le morceau "Voilà, voilà" de Rachid Taha: l'alternance codique sert ici à élargir l'horizon sémantique. Si le français est réservé à la fustigation du racisme en France ("Voilà, voilà que ça recommence / partout partout sur la douce France", le choix de l'anglais souligne le caractère global de la problématique, la situation en France ne représentant qu'un cas particulier, en raison de l'histoire coloniale spécifique du pays: "The lesson was not learnt. The memories they choose to forget. […] everywhere, everywhere, even in lovely‘s France". Maalouf (1998: 160) définit l'anglais comme "langue globale".

9 Cf. dans ce contexte aussi Erfurt (2005: 13) par rapport au rap; le paradigme de l'hybridité urbaine s’applique, mutatis mutandis, également au raï.

10 Cf. Jablonka (2004: 78). A propos de la (ré-)appropriation de l'islam, tout sauf harmonieuse, dans le rap français cf. Jablonka (2004, 2008).

11 Cf. toutefois certaines productions de Rachid Taha (paragraphe 3.2.3).

12 Les explications suivantes du concept de style social communicatif s'inspirent principalement de Keim/Schütte (2002), Kallmeyer/Keim (2003b), ainsi que de Kallmeyer (1996) et de Erfurt (2003).

13 Cf. Appel/Muysken (1987: 120): "Bilingual language usage involving switched puns, jokes, etc. can be said to serve the poetic function of language".

14 La définition que Rampton (1995: 19; mes italiques) donne du terme de "rituel" est utile dans notre contexte: "Prototypically, ritual can be defined as formulaic conduct that displays an orientation to issues of respect for social order and that emerges from some sense of the (actual or potential) problematicity of social relations. Typically, ritual gives a more prominent role to symbols than to propositional expression, it elicits a marked emotional response, it creates an increased feeling of collectivity".

15 Il est impossible de trouver une transcription des paroles de "Indie". La transcription jointe en annexe a été réalisée à l'oreille. L'absence de toute transcription s'explique sans doute au moins en partie par la mauvaise qualité phonétique des paroles chantées. Il m'est notamment impossible de garantir l'exactitude des paroles en anglais. Il s'agit manifestement d'un cas de crossing, car l'usage de l'anglais est de toute évidence liminal (cf. paragraphe 3.3). Contre toute attente, les paroles arabes, qui ont été transcrites avec le soutien de mes informatrices maghrébines, citées en annexe en transcription phonétique, pose beaucoup moins de problèmes, du fait de l'articulation particulièrement claire. – Il va de soi qu'il n’est pas possible, dans le cadre du présent article, de prendre en considération tous les aspects de ce morceau extrêmement complexe. Les chansons de Taha demeurent une mine, largement inexplorée, pour toute recherche sémiologique, y compris littéraire.

16 Comme le chanteur s'exprime lui-même dans une interview avec Dominique Caubet (2004: 214) par rapport à "Indie", "l‘arabe classique me permettait d‘enrichir mon arabe dialectal, et d‘enrichir aussi la langue française". Cette technique est loin d'être artificielle, détachée de la communication quotidienne. Au contraire, c'est une composante intégrale d'une forme de vie sociale partagée par le chanteur et ses pairs: "Quand il y a un mot que je ne connais pas, je le mets dans la langue que je connais. Je le fais dans les chansons, mais je le fais aussi dans la vie." (Caubet 2004: 214)

17 Le chanteur lui-même nous informe que le morceau fait allusion à un poème d'Abou Nouas du 8ème siècle (cf. Caubet 2004: 214); ce favori de Haroun al-Rashid chantait l'ivresse du vin, conjointement avec l'ivresse religieuse et celle de l'amour. On pourrait également citer, par exemple, Omar Khayyam, un poète iranien du 11ème siècle. Cf. également Khatibi (1979) ainsi que Meddeb (2003), pour des références contemporaines de la littérature maghrébine francophone.

18 Il existe de nombreuses introductions à la mystique islamique. La clarté de Bonnaud (2002) est particulièrement appréciable, on peut également recommander Geoffroy (2003).

19 Il s'agirait, dans ce cas, évidemment d'un islam lui-aussi fortement "défracté", voire déconstruit – comme on l'aperçoit d'ailleurs aussi dans la vidéo: http://www.youtube.com/watch?v=Ve3IpuvMSEM.

20 Sur l'album Carte blanche, le morceau ici discuté succède immédiatement à la chanson "Voilà, voilà", qui fustige du point de vue maghrébin les tendances racistes de plus en plus inquiétantes en France (et ailleurs) et critique l'"oubli" de la "leçon" (de la guerre d'Algérie, sans doute: "la leçon n‘a pas suffi" – cf. annotation 8). Cet agencement n'est pas anodin et accentue le message politique.

21 Ce constat est probablement applicable à une grande partie de la scène hip-hop.

22 Cf. aussi Appel/Muysken (1987: 119 ss.), qui soulignent la fonction phatique du code-switching métaphorique, fonction qui est également au premier plan dans le présent contexte.

23 Le nom de ce chanteur est parfois translittéré Rizki. Les paroles de toutes les chansons discutées, avec les traductions des parties arabes, sont jointes en annexe.

24 Même si Virolle (1995: 9) croit pouvoir rapprocher, au niveau du contenu, le raï du blues: l'un comme l'autre serait motivé par le rejet de la misère sociale.

25 Prototypiquement: "One o‘clock, two o‘clock, three o‘clock, Rock …".

26 Cf. Jablonka (2003: 166). Dans la chanson de Mami (avec K.Mel), cf. aussi lignes 41−42.

27 D'où le double codage du nom du groupe de rap Suprême-NTM: "nique ta mère" et "le Nord transmet le message" (Lepoutre 1997: 51).

28 Soulignons toutefois qu’aucun parallèle apparent, ni musical ni textuel, entre ces deux chanteurs et leurs productions n’est repérable.

29 On notera (à l'écoute) l'écart morphonologique par rapport au français standard dans le marquage du pluriel de bœufs (avec -[f]).

30 Si Faudel, fils d'immigrés algériens, est né à Val-Fourré (Yvelines) dans une cité de banlieue (Tenaille 2002: 122), Mami et Taha sont nés en Algérie. Tout comme Cheb Rezki, les deux chanteurs algériens ont entre-temps choisi de vivre en France.

31 Affirmation justifiée sur l'arrière-plan de la théorie de l'"Empire", cf. 1.5.

32 Le champ n'est, bien évidemment, pas limité à ces deux formes d'expression musicale. A l'intérieur de la scène hip-hop existent d'autres affinités et formes mélangées, en premier lieu le Raï‘n‘be, qui seraient dignes d'analyses approfondies. Les phénomènes d'alternance codique franco-arabe que l'on trouve également dans le Raï‘n‘be semblent ne pas encore avoir attiré l'attention des linguistes.

33 Nous suivons Boyer (1997), qui affirme que les situations de contact linguistique ne sont jamais "neutres" et qu'un conflit linguistique investit toute la communauté communicationnelle plurilingue. Ce potentiel conflictuel se traduit évidemment à tout moment dans la pratique des procédés communicationnels, et la défaillance de la neutralité de la situation de contact plonge, bien sûr, ses racines dans la mémoire collective de l'histoire linguistique (tant interne que, encore plus, externe) et communicative partagée.

34Album Baïda. La présente version du texte, y compris les parties arabes, est disponible sur Internet à l'adresse suivante: http://fr.lyrics-copy.com/faudel/tellement-nbrick-arabe.htm. La traduction en français des expressions arabes, dans la colonne droite, imprimée en italiques, est de l'auteur.

35Album Meli meli de Cheb Mami (avec K-Mel). Le texte est disponible sur de nombreux sites, par exemple http://paroles.zouker.com/song/lyrics/20737_parisien-du-nord_cheb-mami-k-mel.htm. Traduction arabe-français (colonne droite, en italiques) de l'auteur.

36La transcription phonétique des paroles a été faite par l'auteur à l'aide des trois informatrices. Je travaille avec une cassette homonyme. La vidéo de la version live est téléchargeable sous http://www.youtube.com/watch?v=NXFKKL2XEKw.