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Claude Bourqui / Alexandre Gefen / Barbara Selmeci (Neuchâtel)



Nouveau support, destin nouveau? Le Grand Cyrus (1649–1653) de Madeleine de Scudéry en ligne



Mademoiselle de Scudéry's Grand Cyrus Online: A New Medium for a New Destiny?
The aim of this paper is to give a presentation of the Internet site "Artamene" (www.artamene.org) and of the project it is linked with. The first part proposes some reflections about the meaning of transposing previously print-published literary texts to Internet sites; it leads to the conclusion that such enterprises make sense when applied to texts that were in some way not adapted to the printed book. The second part gives some indications about the technical choices that gave way to the creation of the site and of its devices; the third part offers a visit to the site according to its state of development at May 1. 2004.


Le texte de cet article offre une présentation du site "Artamene" (www.artamene.org), ainsi que du projet dans lequel il s'insère. Une première partie (1.) propose un cadre de réflexion général; une deuxième partie (2.) explicite les choix techniques qui ont présidé à la création du site; une troisième partie (3.) s'attache à une visite guidée de celui-ci dans son état au 1.5.2004.


1 Du codex imprimé au site internet: les raisons d'une transposition

La transposition sur Internet d'un texte littéraire ayant connu une première fortune sous la forme de l'imprimé doit-elle être envisagée uniquement comme la création d'un nouvel avatar, délivré de quelques contingences tributaires de la matérialité particulière du codex (limitations spatiales, impossibilité de 'défilement', volume et surface encombrants)? Et si le texte est un texte ancien, de nature canonique, 'classique', peut-on attendre d'une implémentation en ligne autre chose qu'une édition critique, moins limitée et plus maniable que celle qu'offrirait l'imprimé traditionnel?

Le texte gagne-t-il un nouveau statut, une existence nouvelle, par le biais de son nouveau support? La transposition peut-elle favoriser une lecture renouvelée et opérer ainsi une fonction en quelque sorte herméneutique?

De telles questions mettent en jeu directement l'avenir des textes littéraires 'traditionnels' sur le réseau. Il en va de déterminer si les sites Internet doivent se contenter du statut de simples lieux de stockage – dépôts transitoires de masses textuelles dans l'attente d'être réexhumées par l'impression –, de celui d'espaces de lecture (quel avantage y a-t-il alors à lire sur écran?) ou de celui de lieux de réviviscence des textes.




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La dernière éventualité s'avère, bien sûr, la plus séduisante. Elle constituerait un apport essentiel, susceptible à lui seul de justifier la transposition sur le nouveau medium, une fois passée la mode et une fois estompé l'effet des pressions institutionnelles. Cette perspective, pour le moment lointaine, est à l'origine du projet "Artamene", développé à l'Université de Neuchâtel sur la base d'un financement de quatre ans octroyé par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique.1 L'objectif est de démontrer par l'exemple qu'il existe des textes qui tirent bénéfice de ce changement de support – textes issus, cela s'entend, de la catégorie des œuvres desservies par le support original du codex imprimé. En font partie les romans de dimensions extrêmes publiés en France, dans le second tiers du XVIIe siècle, sur le modèle qu'avait établi L'Astrée (1607-1627) d'Honoré d'Urfé. Destinés avant tout, dans leur conception originale, à la lecture sociale, ces œuvres ont été prétéritées par leur matérialisation sous la forme de l'objet livre. Il est dès lors loisible d'imaginer que la transposition sur un nouveau support, en libérant le texte des limitations spécifiques au codex imprimé, puisse rétablir certaines propriétés du mode de transmission original.

Mais comment est-il possible qu'un texte soit desservi par le médium qui le transmet et qui, de notre point de vue actuel, lui confère l'existence?

Notre étonnement traduit en fait une incompréhension du mode de création et de consommation littéraire qui prévaut dans les salons, où se conçoivent, s'élaborent, se présentent et se lisent ces œuvres. Le texte, créé sous forme manuscrite, destiné à la lecture à haute voix en présence d'un public sélectif d'amateurs et de connaisseurs, est ensuite confié à la forme définitive et pérenne du livre, selon une procédure analogue à celle qui veut qu'à l'époque on donne une version imprimée d'un texte de théâtre existant indépendamment et préalablement à cette forme de publication. L'imprimé fait ainsi office de vestigium de la création orale, de conservation monumentale de l'œuvre, en même temps qu'il fournit la possibilité aux épigones et imitateurs de reproduire à domicile, pour leur propre compte, l'événement de la représentation de l'œuvre en situation sociale. La forme du livre constitue donc un statut transitoire, avatar indispensable au passage entre deux actualisations dans la lecture sociale. Or, depuis deux siècles au moins, nous avons totalement perdu l'usage de celle-ci au profit de la lecture privée et silencieuse, devenue mode exclusif de consommation des textes. L'expérience de lecture intime de n'importe lequel de ces romans s'étendant sur plusieurs milliers de pages apparaît donc comme une entreprise absurde, déroutante – et c'est ainsi que l'ont éprouvé les différents lecteurs qui se sont attelés à la tâche depuis un siècle et demi. On ne s'étonnera donc point que ces œuvres aient été taxées, à de multiples reprises, d' "illisibilité". Nous ne 'savons' plus lire les romans baroques  – avant tout parce que nous commettons un contresens sur l'usage auquel leur support les destine. De ce point de vue, le texte a bel et bien été trahi par son mode de transmission.

Lire les très grands romans de l'âge baroque impliquerait dès lors de restaurer les pratiques de lecture sociale. Option inconcevable, cela va de soi, au-delà de tentatives expérimentales. En revanche, le changement de support, s'il est conçu de manière judicieuse, peut offrir des conditions de lecture améliorées, plus proches de celles pour lesquelles les œuvres ont été conçues.




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C'est ce qu'aimerait démontrer le site "Artamene", inauguré à l'automne 2003 dans la perspective d'un développement prévu durant les années 2004-2006.2 Le texte proposé est celui d'Artamène ou le Grand Cyrus de Madeleine de Scudéry, dont les sept mille quatre cent quarante-trois pages, publiées en dix parties entre 1649 et 1653, en font le plus long roman de la littérature française. Texte capital pour la culture du XVIIe siècle français, texte dont l'importance et la qualité sont de nos jours unanimement reconnues, texte néanmoins malaisément accessible (pour des raisons de coûts éditoriaux évidentes aucune édition moderne n'a jamais été réalisée), circonstance qui à elle seule pourrait a priori justifier la mise à disposition facilitée qu'offre un site Internet.

Mais les critères qui ont fondé ce choix reposent sur d'autres constatations. En effet, certaines caractéristiques du roman, qui en rendent la lecture intime particulièrement ardue, et qui ont joué un grand rôle dans sa réputation d'illisibilité, peuvent faire l'objet, au travers d'une transposition sur Internet, d'un traitement apte à en estomper les désavantages. Les caractéristiques en question trouvent pour l'essentiel leur origine dans quelques spécificités tributaires de la lecture sociale:

– la dimension exceptionnelle, constitutive de la plupart des romans baroques, mais particulièrement caractéristique dans le cas du Grand Cyrus (par ses sept mille quatre cent quarante-trois pages, il représente une manière de 'comble de l'immensité' au XVIIe siècle), ainsi que l'enchevêtrement des multiples histoires intercalées, empêchent un point de vue surplombant et entravent l'accès au texte pour un lecteur moderne (le 'consommateur' originel, lui, bénéficiait, au cours de la séance commune de lecture, d'un échange continuel avec ses pairs qui favorisait l'assimilation et le repérage);

– un système de références imposant et complexe (cinq cents personnages et près de deux cents lieux) rend malaisés les repérages (le public fidélisé de la lecture sociale s'orientait, lui, avec aisance dans ce dédale);

– les jeux de symétries et de variations, déployés à l'échelle du roman contraignent le lecteur à accepter une diffusion de l'information qui l'amène, bon gré mal gré, à mettre le passage auquel il s'attache en rapport avec une quantité d'autres passages correspondants, distants parfois de centaines de pages. Le texte appelle donc des parcours diversifiés, selon des critères multiples, voire une circulation générale entre les innombrables lieux textuels. Cette sollicitation s'explique encore une fois par les conditions de lecture originelles: la profération d'extraits du texte était complétée par les suggestions de renvois à d'autres passages faites par les participants à la séance, ainsi que par les commentaires de ces derniers (procédé de consommation 'mondain' caractérisé par l'interactivité).




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Dans son état actuel, et surtout dans son développement futur, le site "Artamene" s'efforce d'apporter une solution aux obstacles constitués par ces singularités:

– l'accès à l'intégralité du texte est instantané, sans limites, et obéit à divers modes de présentation (voir, pour les détails, la partie 3. ci-dessous). La barre de menu reproduit la division en tomes ou parties; des résumés à deux niveaux, étendus à la totalité du roman, sont en cours d'élaboration et d'implémentation: ils faciliteront, pour le lecteur, le repérage à partir de n'importe quel passage du roman. Ainsi, les possibilités d'accès direct à tout lieu du texte (que l'ordre du récit soit respecté ou non) et de ponction par extraits dans la matière textuelle qu'est en mesure d'offrir l'interface correspondent à une manière de se créer son Grand Cyrus 'à la carte', à l'instar des lecteurs originels. Le site fonctionne donc à la fois comme réservoir textuel (il respecte en cela la fonction du codex imprimé), mais surtout comme un instrument de lecture offrant certains des avantages du mode de consommation originel, disparus dans la version livresque;

– outre les résumés, des fiches d'identité des personnages, disponibles par simple clic, viendront, à un stade ultérieur, pallier les inconvénients de la construction enchevêtrée, ainsi que du système de références complexe, et procureront l'information indispensable au repérage.


Par ailleurs, les autres propriétés spécifiques au mode de consommation originel du Grand Cyrus peuvent elles aussi être faire l'objet, grâce aux fonctions que prévoit le site, d'un traitement plus adéquat que celui que leur réservait le support livresque:

– la circulation au sein du texte trouve, bien sûr, un équivalent dans la navigation. Celle-ci est rendue aisée, dans toute l'étendue du roman, de plusieurs manières. Le texte, on l'a vu, peut être abordé au travers des résumés aussi bien que par l'accès direct que procure la barre de menu. Mais ce n'est pas tout: un moteur de recherche performant (voir la partie 3.2) offre également une voie d'entrée à partir de critères précis (les occurrences du terme cherché sont en lien avec le texte dans son ensemble). Les planches, selon le même procédé, procurent un accès au passage qu'elles illustrent (voir partie 3. également);

– enfin, la dimension interactive de la lecture originelle sera en quelque sorte simulée par la création d'un réseau de contributions scientifiques instaurant un discours critique en interaction avec le texte. Les articles de cette 'encyclopédie' seront organisés sous forme de fiches reliées selon le principe de la structure hypertextuelle. Des passages d'un article à l'autre seront offerts par le biais de fiches communes, dont la responsabilité sera assumée par les deux contributeurs. Surtout, les fiches accorderont, par hyperlien, un accès direct au texte, lequel accès se substituera à la traditionnelle citation. Au total se mettra ainsi en place un système global de commentaire dialogique (des articles entre eux et des articles avec le texte) rappelant les échanges et les renvois auxquels se livrait le public de la lecture sociale. Dans un développement futur enfin, le site procurera des possibilités de balisage qui permettront à l'utilisateur de sélectionner les passages qui l'intéressent et d'en obtenir une visualisation; ce balisage pourra, dans un second temps, être proposé aux gestionnaires du site et mis à la disposition des autres utilisateurs.




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Le but est ainsi d'offrir, au travers de la transposition sur le support électronique en réseau, un instrument de lecture qui, contrairement au codex imprimé, rende justice au texte, en restituant, dans la mesure du possible, certaines singularités du mode de consommation original. Si ces objectifs sont atteints, le Grand Cyrus devrait y gagner une nouvelle lisibilité. Le changement de support aura abouti ainsi à une forme de restauration.


2 Le site "Artamene": les choix techniques

2.1 Une option stratégique: la norme TEI

Dans la mesure où l'on ne se contente pas d'offrir aux lecteurs une version en mode image (comme le fait par exemple bien souvent Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale française),3 la numérisation d'un texte littéraire comporte deux phases: la saisie, effectuée soit manuellement, soit par reconnaissance optique de caractères (OCR), puis la correction et la mise aux normes du texte saisi. Dans le cas du site "Artamene", la saisie a été, comme souvent, sous-traitée à une entreprise spécialisée, selon un cahier des charges précis, mentionnant contractuellement un taux d'erreur maximal. Ces deux phases gagnent à être coordonnées, car le cahier des charges de la saisie doit être pensé pour conserver le plus précisément possible la présentation du texte original (respect des sauts de lignes par exemple), intégrer d'emblée un maximum d'informations (telles que les numéros de page) et réduire au minimum le travail de remise en forme ultérieur. Même si nous prévoyions de disposer, en complément du mode texte, d'une version en mode image autorisant la vérification du texte saisi, il était toutefois hors de question, par exemple, de corriger manuellement tous les sauts de paragraphes d'un texte de plus de sept mille pages. Nous avons réussi à limiter la phase de correction et de remise en forme typographique à une durée d'environ deux mois, en définissant un protocole de travail très strict, qui prescrivait entre autres les conventions de translittération des caractères d'époque, les normes de transcription des numéros de pages, et l'insertion de matériel paratextuel ou d'enrichissements graphiques du texte facilement exploitables: son efficacité a été un élément clé de la rapidité de notre projet.

Le texte, une fois saisi, relu et sommairement mis en forme, était exploitable immédiatement et aurait pu être mis en ligne tel quel. C'est un choix tout à fait opposé à cette possibilité empirique qui a été fait, celui de l'usage d'un standard rigoureux: les recommandations de la norme TEI (Text Encoding Initiative), standard international soutenu notamment par l'Association for Computers and the Humanities, l'Association for Computational Linguistics et l'Association for Literary and Linguistic Computing. En effet, la numérisation d'un texte tel qu'Artamène ou le Grand Cyrus présente également une dimension patrimoniale: à ce titre, elle nous impose de penser la préservation et l'usage sur le long terme du texte numérisé, afin d'éviter aux lecteurs du futur les difficultés auxquelles nous sommes désormais confrontés face à la première génération de textes numériques, lesquels se fondent souvent sur des formats propriétaires et non documentés, ainsi que sur des interfaces de consultation fermées, parfois incapables de fonctionner sur nos ordinateurs récents.




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Au contraire, la norme TEI dont les spécifications ont été définies de manière pérenne dès 1994 et dont les évolutions sont maîtrisées par le travail d'équipes de recherche internationales prestigieuses (en particulier au sein de l'université d'Oxford), constitue un standard ouvert, pensé pour la numérisation de textes littéraires. La TEI définit en effet des règles de codage de l'information textuelle (autrement dit: de sémantisation du texte brut) répondant à plusieurs impératifs: être suffisamment riches pour représenter les propriétés textuelles variées et complexes (comme la structure d'un texte, sa mise en forme dans les moindres détails); être simples, claires et concrètes; être utilisables facilement par les chercheurs sans nécessiter l'utilisation de logiciels propriétaires; permettre une définition rigoureuse des textes en vue de traitements efficaces; être modifiables et éventuellement extensibles par l'utilisateur.


2.2 Les miracles du XML

Les règles du TEI sont insérées dans le texte selon un format de balisage universel nommé XML (eXtensible Markup Language), qui définit la manière dont les marqueurs textuels sont écrits et structurés et qui impose l'explicitation de la norme de codage utilisée dans un texte secondaire indissociable du premier: la DTD (Document Type Definition). Contrairement à ce qui se passe pour un langage tel que le HTML (sous-ensemble du XML simplifié à l'extrême afin de permettre l'affichage sur le web de pages répondant à un encodage souvent incomplet, contradictoire et comportant quantité d'erreurs), la combinaison de la norme TEI et de l'encodage XML représente une contrainte fort lourde. Si toutes les modifications de la norme sont autorisées, à condition qu'elles soient explicitées dans la DTD, le moindre écart par rapport au cadre d'encodage défini interdit tout affichage et toute manipulation du texte: une erreur d'espace ou de casse sur une seule balise perdue dans les sept mille pages du texte rend celui-ci invalide.

Exemple: extrait du début du texte au format TEI/XML:

<?xml version="1.0" encoding="UTF-8"?>
<!DOCTYPE TEI.2 SYSTEM "teixlite.dtd">
<TEI.2>
<teiHeader>
<fileDesc>
<titleStmt>
<title>Artamène ou le Grand Cyrus</title>
<author>Scudéry, Madeleine (1608-1701)</author>
<respStmt>
<resp>numérisation par </resp>
<name>Claude Bourqui et Alexandre Gefen</name>
</respStmt>
</titleStmt>
<editionStmt>
<edition>
<date>1656</date>
</edition>
[...]




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</teiHeader>
<text>
<body>
<div0 id="page_CYRUS01" n="I" type="partie">
<head n="Epitre dédicatoire à Mme la Duchesse de Longueville placée en tête du 1er volume" type="epitre">
<pb id="page_epitre_dedicatoire_volume1_1" n="V01-I001"/>
A MADAME
<lb/>LA DUCHESSE
<lb/>DE LONGUEVILLE.
<lb/>MADAME,
<lb/>Un des plus Grands et des plus sages Princes de toute l'Asie, va demander Audience, à une des plus Grandes et des plus sages Princesses de toute l'Europe. Ce Vainqueur de la moitié du Monde, qui croit avécque raison que Vostre Altesse seroit digne de le commander tout entier: vient mettre à vos pieds ses Palmes et ses Trophées, et advoüer ingenûment, qu'il a moins conquesté de Sceptres et de Couronnes, que vous ne meritez d'en avoir.
<pb id="page_epitre_dedicatoire_volume1_2" n="V01-I002"/>Il a sçeu que vous n'avez pas autrefois dénié vostre Glorieuse protection à un Prince déguisé: si bien qu'estant déguisé et Prince; et Prince incomparablement plus fameux que l'autre, il a creû qu'il pouvoit aspirer au mesme honneur. [...]

Les avantages d'une telle rigueur sont néanmoins énormes: dans la mesure où les particularités d'encodage du texte sont explicités par le DTD et répondent au cadre général d'une norme, la pérennité de la numérisation est garantie: le texte est en quelque sorte inséparable d'un mode d'emploi simple; puisque le XML est une norme universelle, il existe quantité de logiciels permettant d'éditer des pages écrites en XML, quelque soit le matériel ou le système d'exploitation utilisé. Ainsi des outils aussi élémentaires qu'un simple éditeur de texte peuvent s'avérer suffisants pour effectuer des manipulations de base.

Il existe de nombreux textes numérisés au format TEI: l'originalité du projet "Artamene" est d'avoir pensé le TEI non seulement comme une norme d'échange et de restitution numérique d'un texte papier, mais également et avant tout comme un système de manipulation et d'analyse du texte. En offrant la possibilité d'encoder par des balises chaque propriété structurelle, formelle ou graphique du texte, la norme XML ouvre en effet des horizons que nous ne faisons pour le moment qu'apercevoir:

– en séparant les données de la mise en forme, le XML autorise l'exportation aisée du texte dans de multiples formats (notre site offre par exemple diverses versions téléchargeables du roman, dont une version ebook, une version Microsoft Word et une version imprimable), mais aussi des affichages différenciés selon les publics et les usages. Dans l'état actuel, au 1er mai 2004, ces derniers obéissent aux catégories "texte continu", "texte et image", "texte imprimable" (voir, ci-dessous, la visite guidée à la partie 3.) – dans un développement futur, ces modes seront repensés en tenant compte des nouvelles fonctions disponibles et des possibilités qu'elles ouvrent;




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– en structurant le texte selon une arborescence et en permettant une segmentation aisée sur divers critères, le XML se prête particulièrement bien à la manipulation de textes aussi gigantesques que celui du Grand Cyrus. Il offre par ailleurs des possibilités commodes de visualiser et de manipuler des structures bien plus complexes que la traditionnelle division linéaire en chapitres, caractéristique des romans modernes. Surtout, il fournit les conditions de développement de futurs outils, inédits dans le domaine littéraire: système de navigation par dépliage, cartographie textuelle offrant, par exemple, une représentation graphique qui indique la situation de toutes les conversations, de toutes les occurrences de motifs narratifs ou topiques.

– enfin, en 'encapsulant' chaque élément dans une balise, on autorise l'exploitation du texte en tant que base de données. C'est ainsi qu'une version future du moteur de recherche autorisera par exemple la recherche d'un mot dans un contexte générique et thématique particulier. Ultimement, des réorganisations du texte sur des critères prédéterminés devraient être possibles: un texte 'continu' pourrait ainsi rassembler toutes les conversations, toutes les occurrences du motif narratif du "duel", du motif topique "jalousie", etc.; on serait alors en mesure de générer, à partir de cette réorganisation, d'autres textes possibles.


2.3 Un site pensé pour ses usagers

Tous ces principes ne seraient rien sans une réflexion sur les usages concrets d'un site en ligne, nourris notamment de l'expérience acquise en travaillant sur le site "Fabula".4 Les principes adoptés peuvent être énoncés en une brève liste, que l'on pourra mettre en regard avec celle édictée dans le cadre de l'entreprise éditoriale "revues.org":5

– utiliser des standards libres et ouverts, tels que recommandés par la communauté scientifique et technique (W3C), qui favorisent l'interopérabilité, la pérennité et l'évolutivité du site, mais aussi plus simplement une navigation et une indexation indépendantes des caractéristiques techniques et la qualité de connexion du visiteur;

– diffuser l'intégralité du texte de manière gratuite et libre, sans chercher à en verrouiller l'accès ou les droits de reproduction (principe de l'open-text); mettre à la disposition de la communauté les technologies et les programmes conçus pour le site (principe de travail en open-source): le site et sa base de données constituent également un instrument scientifique ouvert à de nouvelles collaborations (par exemple, pour se lancer dans l'étude d'un aspect du texte jusqu'alors laissé dans l'ombre) ou à l'édition d'autres œuvres à partir des développement logiciels conçus pour le roman de Mlle de Scudéry;

– viser la simplicité, l'ergonomie et la stabilité plutôt que la prouesse technique, en assurant une bonne navigabilité par un système de dépliement du texte; veiller à la bonne 'citabilité', clé de l'exploitation scientifique du site, en présentant des adresses claires et lisibles (le site "Artamene" va même jusqu'à offrir un dispositif préparant les références bibliographiques, que le visiteur n'a qu'à copier/coller; voir ci-dessous, à la visite guidée, partie 3.);




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– s'adapter aux usages, en laissant à chaque visiteur la liberté de se servir du texte comme il l'entend (qu'il souhaite en faire une lecture sur écran, le télécharger, le consulter en rapport avec l'anthologie papier que l'équipe du projet fournira en 2005 chez Flammarion, ou encore y recourir pour compléter ponctuellement une recherche).


3 Le site "Artamene": une visite guidée

En l'état actuel (au 1er mai 2004), le site "Artamene" permet l'accès à l'intégralité du roman (cf. 3.1) et offre en outre certains outils de navigation (cf. 3.2) illustrant les principes fondateurs du projet, tels que nous venons de les exposer brièvement.

La barre de navigation (ill.1) constitue pour l'heure le véritable instrument de recherche. Située sur la gauche de l'écran et constamment présente à la vue, c'est elle que l'internaute est invité à manipuler régulièrement. Elle offre actuellement un choix de trois possibilités:

– "Texte": cette entrée donne accès au texte numérisé du roman, ainsi qu'aux illustrations contenues dans l'édition originale (cf. 3.1).

– "Dossiers": cet espace contient des ressources documentaires fournissant quelques éclaircissements sur l'œuvre (cartes d'époques, bibliographie, listes de personnages).

– "Navigation": cette rubrique permet d'accéder au moteur de recherche, ainsi que de télécharger sous différents formats des portions du texte (cf. 3.2).

 

Ill. 1: Barre de navigation





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3.1 Fonctions de navigation

Le roman est composé de dix "parties", divisée chacune en trois "livres". La répartition originelle a été maintenue. Un menu déroulant (ill. 2) permet d'accéder aux différents livres de chaque partie, ainsi qu'aux textes liminaires:

 

Ill. 2: Menu déroulant


Notons que le site "Artamene" ne constitue pas une édition critique du roman éponyme de Mlle de Scudéry. En raison du volume textuel hors normes et afin de privilégier le potentiel heuristique des outils hypertextuels, nous avons renoncé à effectuer un travail philologique de confrontation des variantes issues des différentes éditions, et à reproduire sur Internet les conventions d'une édition critique sur papier. Une modernisation de la graphie et de la ponctuation se serait de même révélée exagérément coûteuse. Par conséquent, le texte est présenté dans la graphie et la ponctuation d'époque. La version proposée résulte d'une saisie de la dernière édition du roman, publiée à Paris, chez Courbé, en 1656.

Différents modes d'affichage du texte sont disponibles. L'accès immédiat est celui du mode paginé (ill. 3). Le texte y est pourvu d'une double numérotation: à gauche, une pagination continue sur les dix volumes (de la page 1 à la page 7443), et entre parenthèses, la pagination de l'édition originale, maintenue à des fins de repérage:

 

Ill. 3: Mode paginé





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Deux fonctions sont systématiquement disponibles pour chaque page affichée: la première permet d'obtenir une version imprimable de la page, tandis que la seconde affiche une fenêtre qui livre les conventions de citation de la page pour le texte en ligne – p.ex. Texte en ligne: Scudéry, Madeleine. Artamène ou le Grand Cyrus, p. 6879. In site Artamene. Institut de Littérature Française Moderne. Université de Neuchâtel. [En ligne]. http://www.artamene.org/cyrus.xml?page=6879 (page consultée le 10 Avril 2004) –, ainsi que pour l'édition de 1656.

Une barre de menu (ill. 4) propose une version imprimable de l'ensemble de la portion textuelle affichée, de même que l'accès à d'autres modes d'affichages:

 

Ill. 4: Barre de menu


– le mode "texte continu" (ill. 5), dépourvu de pagination:

 

Ill. 5: Mode "texte continu"


– le mode "texte et image" (ill. 6a et 6b) – la confrontation de l'image du texte original avec celui de l'édition numérisée peut être utilisée pour la vérification de la graphie, en cas de doute à l'égard de celle-ci:




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Ill. 6a: Mode "Texte et image"

 


Ill. 6b: Image
Cliquer pour agrandir




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Une "partie" représente environ huit cents pages, chaque "livre" en comprend environ deux cent cinquante. Une subdivision supplémentaire était nécessaire, du point de vue tant de la manipulation technique que de l'optimisation de la navigation. Une telle opération soulevait toutefois des questions sur le plan de la déontologie éditoriale: imposer au texte des limites, des repères, constitue une intervention 'lourde', qui fait violence à la structure originelle. La dénomination anachronique de "séquenciation" a dès lors été choisie afin d'éviter tout malentendu sur l'origine de ces subdivisions. Un tableau des séquences proposées (ill. 7) est livré en sommaire de chaque "livre":

 

Ill. 7: Séquenciation


Les subdivisions – qui comprennent entre vingt et cinquante pages – sont fondées sur des critères narratifs et soulignent la structure d'enchâssement propre à l'œuvre. Le titre de chaque séquence met en évidence le niveau diégétique du texte correspondant; un titre simple (par exemple: "Suite de l'attaque de Cyrus et nouvelle trêve") fait référence à l'histoire-cadre, tandis qu'un titre complexe ("Histoire de Sapho: réunions mondaines") indique qu'il s'agit d'une histoire enchâssée. Le titre se veut synoptique et informatif; il s'efforce de synthétiser le contenu de l'extrait. Chaque séquence est reliée au texte par hyperlien, ce qui a pour effet de faciliter la navigation du lecteur. Dans un futur proche, la séquenciation permettra également d'articuler les résumés au texte.




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La rubrique "Illustrations" met à disposition les illustrations du Grand Cyrus contenues dans la première édition, soit un médaillon de la dédicataire, dix frontispices, ainsi que trente planches représentant des scènes du roman placées à l'orée de chaque livre. Aucune indication n'était fournie quant au passage précis du texte que ces dernières illustraient. Un patient travail d'identification, en comblant ces lacunes, a permis de mettre ces images en relation avec le texte par le biais d'hyperliens.

Les illustrations apparaissent d'abord sous forme d'icônes (ill. 8), associées à un extrait du roman qui se rapporte à l'action représentée. Un lien donne accès au passage du texte concerné:

 

Ill. 8: Illustration


Un clic sur l'icône permet d'accéder à une nouvelle page procurant un agrandissement de l'illustration (ill. 9), ainsi que quelques lignes de contextualisation:




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Ill. 9: Agrandissement de l'illustration


Une série de liens ouvre ensuite la voie, par paliers successifs, aux différentes pages (précédente, suivante ou en contexte) pertinentes à l'égard de l'illustration (ill. 10):

 

Ill. 10: Texte





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3.2 Fonctions de recherche

Grâce au partenariat avec le projet ARTFL (American Research on the Treasury of French Language) de l'Université de Chicago, le site "Artamene" est pourvu du moteur de recherche "PhiloLogic", extrêmement performant et facile d'usage. Il permet de procéder à des recherches étendues à l'intégralité du texte, dans un délai de quelques secondes. "PhiloLogic", en fait, est hébergé par un serveur de l'Université de Chicago, en connexion avec le site "Artamene". L'interface a été simplifiée, harmonisée à la configuration du site "Artamene" et francisée, de sorte que l'utilisateur ne s'aperçoit pas que la recherche lancée est traitée outre-Atlantique avant que les résultats ne lui parviennent en retour.

Conçu pour des investigations sophistiquées dans toutes sortes de bases de données de grande dimension, telles que textes littéraires, religieux, philosophiques et historiques, encyclopédies ou dictionnaires, ce moteur de recherche dispose d'une grande puissance qui a été canalisée au bénéfice du Grand Cyrus. "PhiloLogic" rend ainsi possible la recherche de termes simples, de séquences textuelles ou de co-occurrences dans l'ensemble du roman ou dans une de ses parties (ill. 11):

 

Ill. 11: Fonctions de recherche





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Les procédures de recherche peuvent également être combinées à l'utilisation d'opérateurs booléens, ou affinées à l'aide de caractères de substitution, qui tiennent compte des variations morphologiques et orthographiques. Ainsi, dans le cas du nom propre "Scythe", qui s'orthographie également "Scithe" dans le roman, l'insertion du point, en lieu et place du caractère problématique, permet de retrouver toutes les occurrences du terme. Les résultats sont présentés en contexte et offrent un accès direct au texte (ill. 12):

 

Ill. 12: Résultats


Quant aux caractères de substitution, ils facilitent la recherche de toutes les occurrences d'un mot, quelle que soit sa désinence (-s, -er, -e, -é, -ée, -oit, -ez, -assent, etc.). Par exemple, l'astérisque précédé d'un point, accolé à la base "remport", permet de retrouver toutes les formes sous lesquelles apparaît le verbe "remporter".


Pour conclure

Dans un futur proche, des résumés dépliables de deux niveaux différents, des fiches de personnages et de lieux, ainsi qu'une structure de contributions scientifiques faisant office de commentaires (voir partie 1.) viendront enrichir le site. Mais d'ores et déjà, les outils développés sur le site "Artamene" poursuivent un objectif défini sur deux plans complémentaires: offrir le texte intégral d'Artamène ou le Grand Cyrus (1649–1653) de Madeleine de Scudéry; et, ce faisant, en améliorer la lisibilité par le biais de diverses fonctions techniques palliant les insuffisances de son support actuel, le codex imprimé.




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Notes

1 Le projet occupe une équipe constituée des trois collaborateurs signataires de l'article.

2 http://www.artamene.org.

3 http://gallica.bnf.fr.

4 http://www.fabula.org.

5 http://apropos.revues.org/document13.html.